La forêt, le village, le fleuve, et de nouveau la forêt.
Ces images qui promettent mystères et histoires merveilleuses ouvrent le premier long métrage de Bhaskar Hazarika, réalisateur pourtant formé à l’école du documentaire et en pose le cadre : un Assam rural, baigné par le Brahmapoutre, et comme hors du temps. Le réalisateur assamais tisse quatre contes traditionnels de son État, liés par une même thématique : la maternité. Marâtre ou mère jalouse et cupide prête à risquer sa fille par appât du gain, mère privée de ses enfants assassiné, ou mère… d’une pomme d’éléphant, « énigme errante qui roule », sont les personnages de Kothanodi. On circule d’un conte à l’autre guidé par ce thème commun, mais aussi par des images qui se répètent : cours d’eau, graines et fruits, ces reprises assurent l’unité du film.
Le recueil dont il s’inspire, Les Contes de Grand-Mère, de Sahityarathi Lakshminath Bezbaroa, était il y a encore peu une lecture incontournable des jeunes Assamais. C’est pour éviter que cette partie de leur culture ne disparaisse que Bhaskar Hazarika a décidé de faire un film entremêlant quatre de ces contes (dont certains avaient déjà été par le passé adaptés, individuellement, au cinéma).
Cette revendication d’une culture assamaise est aussi visible dans le choix d’un cadre villageois, baigné par la rivière qui permet de passer d’une histoire à l’autre aux grés des voyages. Le réalisateur a souhaité prendre le contre pied du cinéma populaire assamais qui cherche à copier Bollywood sans en avoir les moyens en ancrant son film dans un Assam traditionnel : dès l’ouverture — un traveling avant sur le fleuve rythmé par une musique assamaise entêtante —, pas de doute, on est bien dans le Nord-Est de l’Inde.
Et la tonalité du film n’a pas grand-chose à voir avec le reste du cinéma indien, toutes régions confondues. Bhaskar Hazarika fait le choix d’un réalisme magique dont on a peine à trouver l’équivalent ailleurs en Inde. Et d’ailleurs, la référence qui m’est venue à l’esprit n’est pas un film indien mais japonais, Kwaïdan, de Masaki Kobayashi (bien que le budget de Kothanodi soit de tout évidence bien inférieur). D’ailleurs, le réalisateur avoue avec humour avoir cherché à donner une atmosphère est-asiatique à son film en filmant le plus de bambou possible ! Une façon comme une autre de se séparer du centre de l’Inde, avec lequel les Etat du Nord-Est, dont l’Assam, entretiennent des relations conflictuelles.
Dans ces contes, la magie n’est pas moins réelle que les vices humains avec lesquels elle entretient des liens ambivalents : parfois simple tour de passe-passe, elle est aussi destructrice de monstres, fondement de superstitions assassines, ou prétexte pour rejeter une femme, l’isoler du village…Le film semble être un champ de bataille ou la réalité cruelle ferraille avec l’onirisme, l’un et l’autre l’emportant à tour de rôle, selon les contes. Les inhumations de bébés vivants, qui rythment la première partie du film, puis leur sortie de terre, baignent le film dans une noirceur profonde.
D’autant que la violence de la superstition et de la haine, elle est bien réelle. Parfois, elle est hors-champ, et d’autant plus glaçante pour cela. Parfois, elle s’expose dans de longues scènes, sans pitié pour les sentiments du spectateur, que Bhaskar Hazarika souhaite, selon ses mots, « attraper par les couilles » pour le forcer à réfléchir loin des happy ends artificiels qu’il reproche à Bollywood . Le film est situé dans le passé (l’équipe du film a d’ailleurs eu le plus grand mal à trouver des paysages sans trace de modernité), mais les fléaux dépeints, les violences contre les femmes et les enfants, les superstitions, sont toujours d’actualité en Assam.
Bhaskar Hazarika admet volontiers son peu de foi en l’humanité, ainsi qu’un goût prononcé pour le macabre. L’histoire de Tejimola, assez connue pour avoir déjà été adaptée en un long-métrage est à ce titre remarquable : elle ne comprend pas d’éléments magiques. Pourtant, le conte, dans la version que j’ai pu lire, est peuplée de végétaux qui parlent et viennent en aide à la jeune héroïne, assurant au récit une fin heureuse. En en expurgeant l’histoire, le réalisateur abandonne la malheureuse Tejimola à son triste sort. Bref, pas de conte édulcoré façon Disney dans Kothanodi. L’histoire de Tejimoma, dure et crue, rappellerait plus le Satyajit Ray de Sadgati. Quant à l’histoire de la pomme d’éléphant, elle se déroulait originellement dans une famille princière. En faisant de la mère une simple villageoise ostracisée, B. Hazarika gagne en critique sociale ce qu’il perd en merveilleux.
Kothanodi est donc un film moins naïf qu’il n’y paraît, qui fait découvrir un une campagne assamaise fort peu bucolique malgré le cadre verdoyant. La noirceur du film, la violence, la critique sociale, le rapproche d’un courant réaliste que l’on est plus habitué à voir à Kollywood. Avec un petit plus : la magie. Est-ce cela, la touche assamaise ?