Taani va se marier. C'est un mariage d'amour, et la jeune fille, toute à sa joie, n'accorde que quelques secondes à l'ancien élève de son père que celui-ci veut lui présenter. Il faut dire que Surinder Sahni, timide et assez terne, n'attire pas vraiment l'attention. Resté seul il observe Taani de la terrasse, quand soudain celle-ci fond en larmes, tandis que son père s'effondre : son fiancé vient de mourir dans un accident de la route. Victime d'une crise cardiaque, le père, seul parent encore vivant de la jeune fille, craignant de devoir la laisser seule, lui demande d'épouser Surinder. Commence alors une difficile cohabitation entre la jeune femme endeuillée et Surinder, amoureux incapable de communiquer avec son épouse si distante et si différente de lui. Taani, qui s'ennuie, finit par s'inscrire à un concours de danse. C'est alors que son mari a l'idée de se déguiser pour pouvoir la regarder danser. Mais la situation lui échappe, et il devient sous le nom de Raj le partenaire de Taani, sans qu'elle le reconnaisse.
Un fiancé qui meurt le jour du mariage, un père sur son lit de mort qui fait promettre à sa fille d'épouser un homme qu'elle n'aime pas, un mari que sa femme ne reconnaît pas parce qu'il a changé de coiffure et de vêtement et qui entreprend de la séduire sous cette autre identité... on peut trouver que ça fait quand même beaucoup d'invraisemblances et de situations clichés. On peut aussi se dire : génial, un bon vieux film hindi comme on n'en fait plus ! Et autant dire que cette seconde attitude est la seule qui permette d'apprécier un film qui demande de renoncer dès les premières minutes à toute incrédulité, comme ont pu le demander, en leur temps, d'excellents films tels que
Satyam Shivam Sundaram (dans lequel un homme ne s'aperçoit pas que sa femme et sa maîtresse sont une seule et même personne).
Si donc on accepte de ne pas être trop regardant sur la vraisemblance, que vaut le film ? Eh bien il y a du très bon, mais aussi des points assez décevants. Ainsi les séquences illustrant les chansons ne sont pas au niveau de ce qu'on pouvait espérer de quelqu'un qui a quand même filmé
Mehndi Laga Ke Rakhna. La chorégraphie de "Phir Milenge Chalte Chalte" est à l'image de la chanson : amusante par ses hommages à des classiques du cinéma hindi, mais ne soutenant pas la comparaison avec ses modèles (c'est toujours un plaisir de revoir Kajol cependant, et Shahrukh est adorable dans ses costumes à l'ancienne). Le clip de "Tujh mein Rab dikta hai" est très loin d'être aussi émouvant que la chanson, et paraît un peu mécanique et sans grande invention. "Danse Pe Chance" est ridicule, mais c'est volontaire étant donné que Raj ne sais pas danser. Reste le clip de "Haule Haule", aussi plaisant que la chanson, dans lequel Surinder montre la personne qu'il pourrait être, sans avoir besoin de passer par le déguisement de Raj, s'il se lâchait un peu et exprimait ses sentiments. La synthèse idéale entre les deux avatars du personnage. Et le final, dont je ne parlerai pas, mais qui est magnifique.
Le deuxième problème, qui est un
gros spoiler alors attention si vous n'avez pas vu le filmc'est que je n'ai pas bien compris pourquoi soudain Taani "voit Dieu en Surinder". Si c'est parce qu'elle tombe amoureuse de lui, comme semble le suggérer tous les passages où cette expression est associée à l'amour, on ne comprend pas bien ce qui motive à ce moment ce soudain changement d'avis. Si c'est juste parce qu'une femme hindoue est censée considérer son mari comme son dieu, juste parce que c'est son époux, on peut regretter qu'Aditya Chopra pousse l'hommage aux vieux films hindi au point de reprendre des conceptions que l'on pensait dépassées.Fin de l'énorme spoiler.
Et ce qui m'a plu dans Rab Ne Bana Di Jodi ? A des degrés divers, tout le reste. Le fait que le film ne perde pas de temps, commençant
in medias res par l'arrivée de Taani et de Surinder dans leur maison - ce qui précède est expliqué par un flash-back d'une durée raisonnable,
Rab Ne Bana Di Jodi échappant ainsi à deux défauts qui affectent souvent les films indiens. Le premier quart d'heure est d'ailleurs magnifique, peut-être le plus beau jamais filmé par Aditya Chopra : le raccourci un peu facile mais toujours efficace qui associe le feu du mariage au bûcher funéraire, les images d'Amritsar, loin de la carte postale, l'embarras de Surinder face à ses collègues sympa mais encombrants, la solitude de Taani, tout est touchant, émouvant, et provoque une adhésion immédiate qui fait accepter les grosses ficelles évoquées plus haut. Tout aussi réussie est la peinture de l'atmosphère provinciale d'une ville que le concours de danse (animé par des gens de Mumbai) semble réveiller en même temps que l'arrivée de Taani bouleverse la vie de Surinder. Tout le film est ancré dans le Punjab, et ne s'autorise pas d'escapade en Suisse ou ailleurs, même le temps d'une chanson.
Et puis il y a ce personnage de Surinder, l'employé de Punjab Power ("Lighting of your life !") qui passe son temps à éclairer la vie de ses clients mais aurait bien besoin que quelqu'un illumine la sienne. Affublé d'une fausse moustache et d'une perruque, toujours habillé de la même manière, ce personnage dont la maladresse fait parfois rire est surtout incroyablement touchant et peut éclipser totalement certains défauts du film : ainsi la scène du combat avec le sumo, qui témoigne d'une méconnaissance singulière de ce sport, et qui m'a pourtant bouleversée. Prêt à tout pour rendre heureuse son épouse, sauf à lui dire qu'il l'aime, il invente un personnage inspiré des héros de film qu'elle admire, un personnage aussi cool qu'il peut l'être, c'est à dire, en fait, parfaitement ridicule dans ses tentatives pour paraître viril et sûr de lui. Si Shahrukh Khan est excellent dans ce rôle, Surinder, en revanche, n'est pas très bon acteur. L'entrain de Raj finit cependant par séduire Taani, obligeant Surinder à faire vivre ce personnage, aux dépens de celui qu'il est vraiment, pour que Taani puisse rester grâce à lui la jeune femme heureuse qu'elle était, pour qu'elle n'ait pas à renoncer à une bonne humeur qui semble peu compatible avec la vie morne de son époux. Si l'on excepte ce que j'évoquais dans le paragraphe "spoiler", le personnage de Taani est lui aussi bien construit et assez complexe, et bien interprété par Anushka Sharma, dont c'est le premier rôle.
Il y a enfin la musique de Salim-Sulaiman, qui offre au moins trois chansons merveilleuses, "Haule Haule", et les deux versions de "Tujh mein Rab dikhta hai".
Au final
Rab Ne Bana Di Jodi est donc plutôt un bon film, malgré les critiques assez mitigées qu'il a reçues.
***
J'ai vu le film à l'Espace Cinéma, où la séance a commencé avec une heure de retard en raison de problèmes de chauffage. Il faisait bien froid, en effet ; de plus les sous-titres, à mon grand regret, étaient très mauvais, à peu près de la qualité de ce qu'on obtiendrait avec un traducteur automatique.
On peut écouter la musique (en streaming)
iciHaule Haule :