27.2.20

PK (2014)

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A l'heure ou Delhi s'embrase sous les acclamation d'extrémistes hindous enragés, j'ai décidé de voir un film datant de temps plus paisibles, PK, réalisé par Rajkumar Hirani.


En termes de cinéma, ce n'est pas mauvais, mais pas très bon non plus. Aamir Khan a une seule expression et la démonstration est assez lourde. Mais ça fait du bien quand même, et la musique est vraiment sympa.


PK (peeke : ivre), c'est le nom donné à un naïf extraterrestre (Aamir) tout juste et tout nu arrivé sur Terre, qui ne comprends rien aux manières des humains. On lui a volé la télécommande de son vaisseau, le privant de tout espoir de retour. Pour la récupérer, tous lui conseillent de se tourner vers Dieu. Problème : celui-ci semble avoir disparu.

"DISPARU"

PK part donc en quête de Dieu. Il va apprendre en chemin que les humains ont la capacité de mentir et ne s'en privent pas, et que la religion est un commerce très rentable. Pour démontrer cela, PK n'a qu'à dresser une pierre au bord de la route, la teinter de rouge avec du paan, et voici un micro-sanctuaire, devant lequel les étudiants angoissés par leurs examens viennent déposer de l'argent.

Si toutes les religions sont mentionnées, c'est clairement l'hindouisme, ses gurus charismatiques (et richissimes) et ses rituels qui sont le plus visés. Le raisonnement est simple : si nous sommes tous les fils de Dieu, pourquoi ne nous aide-t-il pas immédiatement, au lieu de demander par un prêtre que l'on fasse des pèlerinages ou des offrandes (qui d'ailleurs, au désespoir de PK, ne sont pas très efficaces).

Conclusion de PK :
"il y a deux Dieux : un, qui nous a créés : dont nous ne savons rien ; et l'autre que les prêtres ont créé, et qui est faux". Un film indien sans Dieu est inimaginable. Mais par cette dénonciation de l'imposture des religions, Rajkummar Hirani va quand même très loin. On n'en est plus au message apaisant "Dieu est un, seules les manières de le prier varient selon les religions", mais à la dénonciation de celles-ci comme des arnaques.

Évidemment, le film a déclenché des émeutes à sa sortie. Il faut dire que s'il ne mâche pas ses mots, les images sont elles aussi osées. Ainsi voit-on un acteur déguisé en Shiva pour une pièce religieuse aller aux toilettes, puis prendre la fuite devant PK. 

Il fallait bien un extraterrestre, n'appartenant à aucune caste ni religion (et donc pathétiquement seul), pour porter cette dénonciation.


Ah oui, évidemment il y a une histoire d'amour. Elle est assez secondaire et artificiellement intégrée au récit mais on verse quand même une petite larme à la fin.


17.2.20

La "Nouvelle vague" du cinéma indien des années 1980

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 J'ai écrit au cours de mes études un article assez long sur le "nouveau cinéma indien", celui d'Om Puri, de Smita Patil, de Naseeruddin Shah et de Shabana Azmi. Ce texte est la traduction et l'adaptation pour le web, étoffée d'une quatrième partie en forme de recommandations de films, de ce travail.



Malgré le titre de ce texte, les films dont je vais parler ont pour la plupart plus de trente ans.
Cet essai a 10 ans. A cette époque, le cinéma parallèle semblait moribond. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, réjouissons-nous ! (et allez voir Le Photographe, The Lunchbox ou La Saison des femmes)

On appelle en effet nouveau cinéma indien, ou encore « cinéma parallèle », voire « nouvelle vague indienne » un courant qui a produit un certain nombre de films dans les années 1970 et 1980 et qui a fortement marqué le paysage cinématographique indien de cette époque malgré le petit nombre de réalisateurs et (plus encore) d’acteurs impliqués.

Ce courant naît d’une volonté de s’opposer à l’importance croissante que prennent les stars dans le cinéma populaire, à la dégradation de la qualité de ce dernier, et à son coté très codé, très loin de tout réalisme. Il se caractérise par la présence de certains acteurs (au point de finir par créer ses propres stars), par des codes plus proches de ceux du cinéma occidental que de Bollywood, par des histoires se situant souvent dans des milieux défavorisés ou marginalisés, et par une conception du cinéma comme démarche politique, soutenue par les gouvernements de l’époque.

Cependant, malgré leur originalité par rapport à la masse du cinéma indien, la grande majorité de ces films ont eu un écho assez faible et sombrent rapidement dans l’oubli, au point d’être difficiles à trouver aujourd’hui en DVD. Ce n’est pourtant pas à cause d’un désintérêt pour le cinéma indien dans le reste du monde : au contraire, de nombreux festivals programment ces cinéastes, espérant tous découvrir le nouveau Satyajit Ray. On ne peut que s’interroger sur la cause du peu de postérité de ce mouvement, en Inde comme dans le reste du monde, à l'heure où des sujets similaire ressurgissent au cinéma.

L’objectif de cet essai sera tant d’analyser les conditions de l’émergence de ce courant, ses caractéristiques, son originalité et ces limites que de proposer un aperçu de ses personnalités les plus importantes et de ses films les plus marquants. Il est issu, en grande partie, du travail préparatoire que j’ai effectué pour la rédaction des biographies de Naseeruddin Shah sur Wikipédia, et d’Om Puri sur Fantastikindia. Il s’appuiera largement sur les films que j’ai pu voir et les interviews que j’ai lues, mais aussi sur l’ouvrage d’Yve Thoraval, Les Cinémas de l’Inde.

Ce courant touche toutes les industries cinématographiques de l’Inde, et les échanges d’idées et de personnel entre les aires linguistiques sont particulièrement nombreux. Cependant, en raison de ma méconnaissance des autres cinémas, je vais parler ici presque uniquement du cinéma en langue hindi. C'est ce document que je mets en ligne, en le divisant en plusieurs pages car il est un peu long. Voici son plan en liens : 

I. Le contexte
II. Qu’est-ce que le « nouveau cinéma » apporte de neuf ? 
III. Pourquoi le nouveau cinéma n’a-t-il pas bien vieilli ?
IV. Quels réalisateurs, quels films ont encore une pertinence aujourd’hui ?

Il est aussi un film que je n'aborde pas ici mais dont j'ai rédigé la critique pour Fantastikindia : Godhuli


Le nouveau cinéma indien : le contexte

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A. Un cinéma commercial qui tourne en rond  

 

J’ai évoqué en introduction le non-renouvellement des acteurs de ce cinéma, et sa baisse de qualité à cette époque. Mais il déplaît aussi aux auteurs du nouveau cinéma sur un plan plus idéologique. Pourtant le cinéma commercial de l’époque est lui aussi politisé. Et, comme le nouveau cinéma, il défend des valeurs progressistes « de gauche » (sur le plan socio-économique en tout cas, beaucoup moins en ce qui concerne les questions de genres) : Indira Gandhi clame à qui veut l’entendre qu’il faut libérer les paysans du féodalisme, et faire disparaître la pauvreté, et de nombreux réalisateurs de films populaires font échos à ses propos, moitié par conviction, moitié par opportunisme. Mais dans ce cinéma la pauvreté est symbolisée par quelques scènes mélodramatiques, toujours les mêmes (une mère qui ne peut plus nourrir son fils, une jeune femme obligée de se prostituer… ). Bidonvilles ou villages sont reconstitués en studios sans aucun soucis de réalisme ni d’ancrage régional. L’injustice est vaincue par l’action d’un héros solitaire, presque surhumain. Et la réflexion sur les causes de cette pauvreté est réduite au strict minimum (c’est la faute de la corruption). Bref, le spectateur n’est pas incité à agir, encore moins à réfléchir. On lui propose simplement une revanche imaginaire sur les classes dominantes, le temps du film. 

B. Une plus grande ouverture au cinéma du reste du monde 


Ceux qui vont créer le nouveau cinéma ont heureusement de plus en plus accès à d’autres films, ceux produits dans le reste du monde. C’est la période du développement des ciné-clubs en Inde, bientôt suivi par le développement de la vidéo, permettant de découvrir les innovations d’autres auteurs indiens, mais aussi de partout ailleurs. L’International Film Festival of India joue le même rôle. Fondé en 1974, le Film and Television Institute of India est quant à lui à la fois un prestigieux centre de formation, d’où sont issus bon nombre d’acteurs et de réalisateurs du mouvement, et une cinémathèque. 

 

C. L’engagement de l’Etat 


Le nouveau cinéma indien, écrit Aruna Vasudev dans The New Indian Cinema (1986) « est né d’une décision gouvernementale ». Les modalités des aides financières et des récompenses attribuées influent fortement sur l’idéologie de ces films, et sur la prédominance de cette dernière sur la forme des films. Par ailleurs, si l’Etat soutient la formation professionnelle et la production des films, rien n’est fait pour permettre leur distribution en Inde : un grand nombre d’entre eux, après avoir fait le tour des festivals étrangers, ne sortiront jamais en salle ! Certains Etats indiens, comme le Bengale, alors communiste, coproduisent également des films. Il est important d’avoir conscience que ces films qui nous  paraissent si critiques envers la société indienne ont été financé par le pouvoir en place. Cela n’empêche pas d’autres formes de financement plus originales : Manthan, qui raconte la naissance d’une coopérative laitière regroupant des éleveurs intouchables, a été financé par 500 000 fermiers du Gujarat, membres d’une coopérative ! 

Une lassitude face aux films existants, la découverte d’autres cinémas, un effort financier de l’Etat : le nouveau cinéma est prêt à émerger. Mais en quoi est-il « nouveau » ?

Qu’est-ce que le « nouveau cinéma » apporte de neuf ?

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A. De nouveaux thèmes


 Les personnages proviennent de milieux jamais représentés dans le cinéma commercial, ou alors d’une façon tellement édulcorée qu’ils en sont méconnaissables. Ils sont intouchables, aborigènes, paysans sans terre venus peupler les bidonvilles de Calcutta ou d’ailleurs. Ce sont des femmes bien souvent, une véritable révolution dans un cinéma qui ne laissent à ses actrices qu’une fonction décorative.

Le système de caste est attaqué de façon frontale par Shyam Benegal (Manthan) Govind Nihalani (Aakrosh), Satyajit Ray (Sadgati) bien loin de la frilosité du cinéma commercial qui n’évoque ce sujet que sous l’angle des amours impossibles.

Le machisme de la société indienne est souvent critiqué, par les quelques réalisatrices de ce courant (une première en Inde), mais pas uniquement.

Et la religion, qui n’avait plus subi d’attaque depuis les années 1950, n’est pas non plus épargnée : le ritualisme et le conservatisme social de l’hindouisme sont en particulier mis en cause, bien que cette critique soit moins virulente qu’on aurait pu le penser de la part de cinéastes pour la plupart marxistes : les gouvernements qui financent le courant, même les plus à gauche, n’apprécient pas que l’on attaque trop directement un hindouisme qui incarne à leurs yeux la culture indienne. Machisme, exploitation, discriminations, sont envisagés sous l’angle d’une critique sociale globale.

B. Un nouveau style 


Pas (ou peu) de chorégraphies, et des films moins longs : c’est ce qui différencie le plus visiblement le nouveau cinéma du cinéma commercial. Les chansons, quand il y a en a quand même (et c’est le plus souvent le cas), accompagnent le générique, ou, quand elles sont chorégraphiées (rarement plus d’une fois par film), permettent un jeu de contraste avec la sombre réalité dépeinte dans le reste du film. Ainsi dans Aakrosh les notables de la petite ville où se déroule l’action se détendent devant un spectacle de lavani, un style de danse suggestif, au lieu de répondre aux questions de l’avocat qui défend l’aborigène accusé à leur place. Les genres musicaux choisis sont locaux et contribuent à l’ancrage du film dans une région précise.

Surtout, le nouveau cinéma privilégie le réalisme, ce qui est, en Inde, révolutionnaire (on se rappelle la critique de Naipaul envers une Inde incapable de voir la réalité extérieure, aveuglée par une idéologie qui ne se figure la société qu’à travers le filtre de la caste et valorise le repli sur soi en vue d’une libération personnelle). Un réalisme que Thoraval présente à juste titre comme humaniste, en ce qu’il force le spectateur à voir l’humanité d’individus auxquels il n’aurait pas accordé un regard s’il les avait croisés dans la rue. On tourne le moins possible en studio, on accorde une attention certaine aux costumes, coutumes, accents locaux. Le simple fait de montrer est une dénonciation : un certain nombre de ces films (les meilleurs) se passent de grand discours. Il ne s’agit pas pour autant de donner l’illusion du réel : pas question de retomber dans les travers du cinéma commercial, qui manipule le spectateur au lieu de le faire réfléchir. Certains adoptent des postures tout à fait brechtiennes, tel Benegal dans Arohan (« Le soulèvement ») : avant le générique, l’acteur principal se présente, présente ses collègues et leurs personnages, et annonce le thème et les objectifs du film (montrer la lutte d’un paysan contre le propriétaire des terres qu’il cultive) ! Certains, notamment parmi les acteurs, revendiquent également un réalisme psychologique : ce point est plus problématique, et j’y reviendrai quand je verrai les faiblesses du nouveau cinéma.

C. De nouveaux visages


 Pour percer devenir une star dans le cinéma populaire il faut être, au choix, beau ou fils de réalisateur ou acteur, les deux caractéristiques pouvant se cumuler. Les stars bien établies tournent un grand nombre de films chaque année (à titre d’exemple 9 pour la belle Zeenat Aman en 1980, 11 pour Dharmendra en 1989, 19 ( !) la même année pour le très inexpressif  "Disco Dancer" Mithun) et ne laissent pas de place aux nouveaux venus. Certains de ces acteurs sont assez mauvais, et ceux qui ont été bons se sont laissé enfermer dans leur image de star et dans un type de rôle et style de jeu unique, très théâtral. Le nouveau cinéma accueillera de temps à autre certaines de ces stars (surtout les actrices), mais fait la part belle à une nouvelle génération d’acteurs, dominée par quatre personnes extrêmement talentueuses, deux femmes, Shabana Azmi et Smita Patil, et deux hommes, Om Puri et Naseeruddin Shah, issus pour trois d’entre eux du Film and Television Institute of India (FTII) de Pune.

On rencontre l’un ou l’autre de ces acteurs dans 99% des films de ce courant, mais ils jouent aussi, de plus en plus souvent, dans des films commerciaux. N’allez pas croire que ce renouvellement correspond à une démocratisation du recrutement : seul Om Puri vient d’un milieu populaire. En outre ils deviennent rapidement les stars de ce cinéma parallèle, et la recherche de nouveaux talents s’arrêtent. En revanche, leur apparence est révolutionnaire par sa banalité, du moins en ce qui concerne les acteurs, car les actrices restent très jolies. Et leur talent, leur perfectionnisme, leur volonté de relever tous les défis et d’accepter les rôles les plus divers apportent une vraie bouffé d’air frais.

 Shabana Azmi



 Shabana Azmi, née en 1950 dans une famille musulmane, est la fille d’un célèbre poète. Son mari est également poète. Elle est célèbre pour son engagement social, en faveur des habitants des bidonvilles ou des malades du sida, et politique, contre le communautarisme notamment. Doté d’un beau visage légèrement mélancolique, elle joue souvent des personnages de femmes presque dépressives, abattues par une société étouffante ou par un mariage malheureux. On la voit rarement interpréter des femmes issues de milieu populaire, ce type de rôles revenant plus fréquemment à sa rivale, Smita Patil. Cependant, comme tous les acteurs de ce courant, elle ne refuse jamais un rôle à contre emploi : patronne de bordel qui gère son entreprise en femme d’affaire dans Mandi , ou jeune femme intouchable dans Paar.

Smita Patil 



Très belle femme (ça saute au yeux, c'est pourquoi je commence par le mentionner), Smita Patil (née en 1955) est la fille d’un homme politique et d’une travailleuse sociale. Elle apprend à jouer dans des pièces de théâtre expérimental. Militante féministe, refusant de servir de faire-valoir à des stars masculines, elle a joué quelques-uns des rôles féminins les plus intéressants de l’époque. Elle interprète souvent des femmes du peuple au franc-parler cinglant et au sexappeal naturel. Sa vie privée fait la une de la presse people lorsque l’acteur Raj Babbar divorce pour l’épouser : un véritable scandale à l’époque. Elle meurt à trente et un an seulement, des suites d’un accouchement. Son fils, Prateik Babbar, est lui aussi acteur. Son plus beau rôle : celui d’une actrice qui ne trouve pas sa place dans la société indienne dans Bhumika. 

Om Puri






 Né en 1950 dans le Pendjab profond, élevé par son oncle faute de pouvoir l’être par des parents en manque d’argent, obligé de travailler dès son adolescence pour payer sa scolarité, le succès d’Om Puri a tout du conte de fées. Si l’on ajoute un physique difficile, malingre autrefois, bedonnant aujourd’hui, une peau grêlée par la varicelle, et un accent pendjabi à couper au couteau, on se dit qu’il doit vraiment être un excellent acteur pour avoir réussi à se faire un nom. Il a longtemps été le visage des opprimés :  intouchable, aborigène, travailleur exploité : ces rôles, dans lesquels il excelle, lui ont collé à la peau, de Satyajit Ray (il est le tanneur de Sadgati) à Roland Joffé (oui, c’est lui le tireur de rickshaw qui vole la vedette à Patrick Swayze dans la Cité de la Joie). Après la mort du nouveau cinéma, il a dû se rabattre sur des seconds rôles sans grand intérêt dans des films commerciaux. Il est décédé après la rédaction de cet essai, en 2017.

Naseeruddin Shah 






Né en 1950 dans une famille musulmane qui descendrait d’un seigneur afghan, Naseeruddin Shah grandit dans un milieu très conservateur. Son père le destine à la haute fonction publique ; au désespoir de sa famille, il choisit le théâtre, puis le cinéma. Personnalité à part dans un milieu très policé, il exige autant des autres que de lui-même, et n’hésite jamais à dire aux autres acteurs ou cinéastes avec qui il a travaillé ce qu’il pense d’eux. Cela provoque parfois quelques tensions car son impressionnante filmographie (166 films !) comprend, à côté d’un bon nombre d’oeuvres majeures, quelques films épouvantablement mauvais, acceptés pour des raisons strictement alimentaires et dénigrés dès leur sortie. Lorsqu’il ne joue pas dans des navets (et même parfois lorsqu’il joue dans des navets) Naseeruddin Shah est l’un des acteurs les plus perfectionnistes qui soient, imitant à la perfection les différents accents régionaux et capable d’interpréter de façon crédible des personnages venant de tous les milieux. Il est toujours actif sur la scène théâtrale, et a été aperçu dans quelques films internationaux ou non-indiens, tels Le Mariage des moussons ou La Ligue des gentlemen extraordinaires (son Némo dans ce denier film est un beau gâchis, le personnage est à peine esquissé).

 Shabana Azmi, et Naseeruddin Shah jouent aujourd’hui encore dans des films abordant des problématiques sociales, sans chansons ni danses. Mais ces films se sont longtemps faits rare, et ils ont gagné leur vie en multipliant les apparitions dans des films commerciaux : le nouveau cinéma n’existe plus. Il a même sombré dans l’oubli, occulté par la masse d’un cinéma populaire florissant. Pire, ceux qui ont fait ce cinéma portent aujourd’hui un regard critique sur ce courant.

Le nouveau cinéma indien : Un cinéma qui a mal vieilli. Pourquoi ?

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A. Des budgets ridiculement réduits 


Le titre de ce paragraphe n’a pas besoin de beaucoup d’explications. Le budget d’un film indien lambda des années 1970 ou 1980 ferait sourire n’importe quel producteur d’Hollywood. Il est pourtant faramineux en comparaison de celui de beaucoup de films du nouveau cinéma. Par ailleurs, selon Aruna Vasudev, le soutien systématique des agences gouvernementales à de très petits films (en termes de budget) a fait naître une esthétique du « cinéma pauvre » qui limite les possibilités et nuit à la qualité technique.

B. Une certaine lourdeur idéologique 


Pour recevoir le soutien de l’Etat certains auteurs cherchent les sujets les plus sordides, conformes à l’image d’alors d’un cinéma « sérieux », qui ne cherche pas à divertir. D’autres s’enferment dans l’abstraction idéologique et se coupent totalement des spectateurs. Un bon exemple en est le film de Nihalani Party, interminable huis-clos dans une réception de la bonne société intellectuelle d’une grande ville indienne, où chacun disserte sur le sens de l’engagement politique. La principale faiblesse de ce cinéma tient à la tension entre deux pôles contradictoires : l’idéologie et le réalisme.

Ce point est particulièrement sensible en ce qui concerne le réalisme psychologique, souvent sacrifié au profit de personnages creux, purement fonctionnels, au service du message du film : cela a été à l’origine de tensions entre les acteurs et les scénaristes et réalisateurs. Certains acteurs, et non des moindres (Naseeruddin Shah par exemple), déçus de n’avoir pas de personnages plus consistants à incarner, se sont progressivement tournés vers le cinéma commercial. D’autres difficultés découlent de la même source : comment concilier ancrage dans une réalité locale particulière et illustration d’un dogme à portée internationale, ou au moins nationale ?

C. Les limites des innovations formelles


 Le manque de moyens et le poids de l’idéologie se conjuguent pour limiter la qualité formelle de ces films. Le refus des conventions scénaristiques du cinéma populaire va aussi rapidement rencontrer ses limites. Le nouveau cinéma a beaucoup de mal à inventer des scénarios qui se démarquent de ces codes sans imiter le cinéma occidental. D’où une abondance de scénarios bancals, qui ne correspondent ni aux attentes du public traditionnel indien, ni à celui des spectateurs occidentalisés, habitués à plus de rigueur et de cohérence. On assiste à l’émergence de nouveaux clichés, de nouvelles histoires bateau, avec leurs figures incontournables : propriétaires terriens héritiers d’un système féodal qui tarde à disparaître, écrivains portant un regard désabusé sur la société corrompue qui les entourent, pensionnaires de maisons closes qui ne sont que le miroir grossissant de l’exploitation dont sont victimes les femmes « respectables »… Bref, le mouvement s’essouffle, et finit par disparaître au début des années 1990.

 Difficile, aujourd’hui, de trouver en DVD les films de cette époque, dont beaucoup ne semble plus exister que dans les mémoires de quelques nostalgiques. Est-ce à dire que ce mouvement n’a plus d’intérêt pour le spectateur d’aujourd’hui aujourd’hui ? Il n’en est rien, car certains réalisateurs ont réussi a géré les tensions issues des ambitions contradictoires du nouveau cinéma, sans renoncer à leurs ambitions formelles et à un style très personnel.

Quels réalisateurs, quels films ont encore une pertinence aujourd’hui ?

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Avant de proposer quelques films qui à mes yeux méritent d’être découverts, je voudrais dire quelques mots sur trois réalisateurs majeurs du nouveau cinéma : l’incontournable Shyam Benegal, Govind Nihalani, qui a longtemps été son directeur de la photographie, et la réalisatrice Sai Paranjpye qui a choisi un registre très personnel.

Shyam Benegal (né en 1934), a étudié le cinéma au Royaume Uni et aux Etats-Unis. Il a réalisé plus de soixante films, dont une bonne moitié de documentaires. Ses films, qui abordent des sujets très variés, sont caractérisés par un certain désenchantement, et une ironie qui n’épargne personne (pas même le gouvernement du Bengale, dans un film pourtant financé par ce dernier, Arohan). Il se situe volontiers dans le registre de la satire. Il est toujours actif aujourd’hui, mais semble être retourné à un certain classicisme.

Govind Nihalani (né en 1940) est a mes yeux un des cinéastes les plus intéressant pour la qualité des scénarios qu’il choisit, bien construits et riches. Ces films, souvent policiers, souvent violents aussi, pourraient souffrir d’une certaine sécheresse due à son refus de tout pathos, heureusement compensée par le jeu vibrant d’Om Puri, son acteur fétiche.

 Sai Paranjpye enfin se distingue par son choix d’une voie médiane, qui se rapproche du cinéma commercial, notamment par l’inclusion de quelques chansons dans ses films, et par le choix de ses sujets : ses personnages sont souvent issus de la classe moyenne, voir de milieux aisés. Elle peint comme personne l’atmosphère des chawls de Bombay, ces immeubles de la classe moyenne organisés autour d’une cour commune où tout le monde connaît les moindres détails de la vie des autres locataires. Elle accorde une vraie attention à la psychologie de personnages qu’elle filme avec beaucoup de tendresse et d’humour.

Les films présentés ci-dessous font naturellement la part belle à ces trois réalisateurs :

Nishaant (la fin de la nuit)



De Shyam Benagal, avec Shabana Azmi, Girish Karnad, Kulbhushan Kharbanda, Amrish Puri, Naseeruddin Shah, 1975 

Le cadet d’une famille de propriétaires terriens, un jeune homme timide et faible, suit la tradition familiale en enlevant la femme qui lui plait, l’épouse du maître d’école. Celui-ci remue ciel et terre pour la récupérer, en vain, jusqu’à ce que le prêtre du village accepte de s’allier à lui et déchaîne la colère des villageois contre les seigneurs féodaux. Une relecture très sombre et très ironique de l’épopée du Ramayana, qui dénonce autant le féodalisme que la lâcheté des pouvoir publics face aux puissants, et porte néanmoins un regard désabusé sur la violence aveugle inhérente aux révolutions. 

Bhumika (le Rôle)



De Shyam Benegal, avec Anant Nag, Amol Palekar, Smita Patil, Amrish Puri, Naseeruddin Shah, 1977 

 La vie d’une actrice des années 40 qui peine à trouver sa place dans une société où ce métier est considéré comme déshonorant. Usha, magnifiquement incarnée par Smita Patil, est déchirée entre sa volonté de vivre sa vie comme elle l’entend et son désir de respectabilité. Une belle peinture du monde du cinéma indien de l’époque, et un portrait de femme tout en nuances. 

Aakrosh (En colère)


De Govind Nihalani, avec Smita Patil, Amrish Puri, Om Puri, Naseeruddin Shah, 1980

 Un aborigène est accusé du meurtre de sa femme. Le jeune avocat brahmane qui le défend mène son enquête avec professionnalisme, mais sans douter de sa culpabilité. Mais le mur de silence auquel il se heurte l’amène à revoir ses certitudes. Un film policier au scénario surprenant et très bien construit, sec, nerveux, sans le moindre pathos, qui dénonce l’oppression dont sont victimes les aborigènes avec d’autant plus de force qu’il se passe la plupart du tant de grands discours et évite tout angélisme. L’accusé ne dit quasiment pas un mot pendant toute la durée du film. Om Puri est bouleversant dans ce rôle presque muet. 

Sadgati (Délivrance)



De Satyajit Ray, avec Mohan Agashe, Smita Patil, Om Puri, 1980, moyen-métrage. 

Dukhi, un intouchable, a besoin du prêtre du village pour fixer le jour du mariage de sa fille. Celui-ci n’a pas le temps, mais lui donne plusieurs tâches à accomplir. La derrière, le découpage d’une énorme bûche, se révèle fatale pour Dukhi, affamé et fiévreux. Mais que faire du corps, source d’impureté, abandonné près du puits des brahmanes ? Quasiment pas de commentaire, juste des faits, les corvées que le brahmane donne sans même y penser entre deux sermons pompeux sur la vie et la mort et qui se révèlent mortelles. Un moyen métrage d’une grande force à voir absolument quand on s’intéresse au système des castes et à l’intouchabilité. 

 

Sparsh (Le Toucher)



De Sai Paranjpye, avec Shabana Azmi, Om Puri, Naseeruddin Shah, 1980 

Adieu la critique sociale, voici une histoire d’amour entre deux individus appartenant à des milieux aisés. Mais l’un est aveugle (et doté d’un très mauvais caractère), l’autre veuve, dans un pays où les femmes de castes élevées ne se remarient généralement pas. Tous les deux finissent naturellement par surmonter leurs handicaps dans ce petit film plein de tendresse et tout en finesse qui inclut quelques chansons (mais pas de chorégraphie). 

Ardh Satya (Une demi-vérité)


De Govind Nihalani, avec Smita Patil, Amrish Puri, Om Puri, Naseeruddin Shah, 1983 

Un policier, fragile et violent, dominé par un père autoritaire et en bute à une hiérarchie corrompue trouve un peu de stabilité et de tendresse auprès d’une professeure de littérature. Le film est intéressant pour sa peinture nuancée de la police, et pour sa position originale vis-à-vis de la violence policière, dont le cinéma de l’époque fait généralement l’apologie. 

Paar  (le Passage)



De Gautam Ghose, avec Shabana Azmi, Om Puri, Naseeruddin Shah, 1985 

Pour avoir assassiné l’homme qui opprimait sa communauté, un intouchable doit fuir son village avec sa femme enceinte. Ils cherchent du travail à Calcutta, mais le seul qu’on leur offre est dangereux, surtout pour une femme enceinte. Gros travail de Naseeruddin Shah (prix d’interprétation à Venise) et de Shabana Azmi pour incarner ces deux personnages, avec la gestuelle et l’accent adéquats. Un film qui se distingue par le soin apporté à la photographie et par l’ampleur qu’il atteint parfois (lors de la séquence cauchemardesque de l’incendie du village par exemple), mais souffre d’un scénario découpé en deux parties lâchement reliées. 

Ek Pal (Une fois)


De Kalpana Lajmi, avec Shabana Azmi, Naseeruddin Shah, Farooq Sheikh, 1986 Dans l’Etat de l’Assam, l’Extrême-Orient de l’Inde, Priyam doit renoncer l’homme qu’elle aime pour épouser un jeune homme gentil mais inintéressant au possible, y compris sur le plan sexuel. Elle finit par le tromper. Un film assez révolutionnaire dans le cinéma indien par les sujets tabous qu’il aborde, et par son traitement du désir féminin et des relations de couple. Un joli rôle tout en nuances pour Naseeruddin Shah dans le rôle du mari trompé ; Shabana Azmi est également excellente dans un registre qu’elle connaît par coeur. 

Pestonjee 


De Vijaya Mehta, avec Shabana Azmi, Anupam Kher, Naseeruddin Shah, 1988 

Deux amis appartenant à la communauté parsie (zoroastrienne) de Bombay ont recours à la même marieuse. Ils jettent leur dévolu sur une même femme. Pestonjee, plus rapide à se décider, l’épouse. Piroj, quant à lui, va idolâtrer ce couple, dont il ne voit pas les failles pourtant évidentes, tout en menant une triste vie solitaire. Une belle reconstitution de la vie de la communauté parsie au milieu du siècle dernier, et la triste histoire d’un homme qui ne vit qu’à travers le bonheur fantasmé de son ami. Le film souffre hélas du cabotinage d’Anupam Kher (Pestonjee). 

Mane / Ek Ghar (Une Maison)


De Girish Kasaravalli, avec Rohini Hattangadi, Deepti Naval, Naseeruddin Shah, 1991 (film en langue kannada, doublé en hindi sous le titre Ek ghar) Un couple sans enfant s’installe dans un appartement. En son centre, abandonné, trône le lit de leurs prédécesseurs. Dans le taudis qui jouxte leur immeuble travaillent toutes les nuits des ferrailleurs qui les empêchent de dormir. Qu’est-ce qui fait qu’on se sent chez soit quelque part ? C’est la question que pose Mane, oscillant sans cesse entre l’analyse sociale (les rapports de classes entre les ferrailleurs et le 15 couple, les rapports de pouvoir entre le mari et sa femme) et une vision plus expressionniste, lorsque Kasaravalli met en scène les effets du manque de sommeil. Le film est loin d’être parfait, mais dans les meilleurs moments on pense au Locataire : il y a pire comparaison ! 


*****

 Tous les films du nouveau cinéma ne sont pas aujourd’hui dépassés. Ceux qui ont mal vieilli, et il y en a beaucoup, conserve un intérêt historique supérieur aux films commerciaux déconnectés de la réalité. Et certains d’entre eux possèdent de véritable qualités cinématographiques qui en font des films incontournables pour quiconque s’intéresse au cinéma indien. On assiste d’ailleurs à un certain regain d’intérêt pour ce mouvement à l’heure où des films sociaux à petit budget recommencent à voir le jour en Inde, et où les potentialités offertes par internet permettent un meilleur accès à ces oeuvres rares.


PS : une série d'articles consacrés à la filmographie de Naseeruddin Shah est consultable ici