25.2.08

Iruvar ( 1997) - Tamoul


Dans un soucis de synthèse sur l'oeuvre de Mani Ratnam (synthèse encore embryonnaire), je reprends ici avec d'infimes modifications une critique que j'avais publié sur dvdclassik.

Anandan (Mohanlal), acteur tentant de faire ses preuves à Kollywood dans les années 1940, se lie d'amitié avec le scénariste et poète révolutionnaire Tamilselvam (Prakash Raj). Celui-ci "lance" Anandan en lui écrivant des scénarios inspirés par ses idées socialistes, très populaires dans le Tamil Nadu de cet époque. Devenu une immense star, Anandan entre en rivalité politique avec son ami.
Le film développe en parallèle une intrigue amoureuse : Anandan se marie, se retrouve veuf, puis se remarie avant de rencontrer une jeune actrice qui est le portrait craché de sa première épouse (Aishwarya, dont c'est le premier et sans doute le meilleur rôle).

Iruvar livre une réflection intéressante sur les rapports du cinéma et de la politique : un parti peut-il se passer d'un tel moyen de communication ? Mais d'un autre côté l'immense popularité d'un acteur membre d'un parti ne risque-t-elle pas de dénaturé l'action et les idéaux de celui-ci, si son succès n'est plus fondé sur ses idées mais sur la sympathie du peuple pour un individu ?
Mani Ratnam s'est inspiré (malgré l'avertissement préalable affirmant prudemment le contraire) de la vie de l'acteur tamoul M.G. Ramachandran pour écrire ce scénario. Le film égratigne un peu l'image de la star, dont on ne sait jamais vraiment si elle se mêle de politique par conviction ou uniquement par opportunisme. Le film a d'ailleurs été très mal reçu par ses fans, et l'on comprend pourquoi. Il suffit de voir la scène, qui annonce un peu Guru, où Anandan remet à sa place son ancien ami, devenu dignitaire du parti, en arrivant à un meeting au milieu de son discours. D'un seul coup la foule unanime se désintéresse de ses propos et se tourne vers la star, qui salue, signe des autographes, et laisse Tamilseldam parler dans le vide sur la tribune. Mani Ratnam est à l'aise avec les mouvements de foule.

Anandan est un personnage arrogant, conscient de son pouvoir, qui utilise la politique autant (et peut-être plus) qu'il ne la sert, et malgré tout toujours aussi populaire. Les passages concernant sa vie privée révèle un personnage tout aussi complexe, séduisant presque malgré lui ses héroïnes*. Mani Ratnam renforce cette vision paradoxale de la vie de la star en donnant à Prakash Raj, connu pour pour ses rôles de "méchants", un personnages qui est le contre-point apparent d'Anandan. Jaloux, souvent méfiant à l'égard de celui-ci, Tamilseldam fait néanmoins passer l'intérêt du parti avant le sien (du moins le croit-il), s'opposant à son ami lorsqu'il le pense incapable de jouer un rôle politique, s'effaçant devant lui quand le dirigeant de son parti l'ordonne, avant d'entrer en guerre ouverte avec lui pour succéder à celui-ci, s'estimant plus instruit et plus expérimenté que son rival. Son personnage n'est pas parfait non plus, et le contraste est frappant entre le poète exalté des années 1940 et l'apparatchik qu'il est devenu à la fin du film.

J'ai beaucoup apprécié que les deux caractères soit autant développé, permettant deux belles performance d'acteurs. Mohanlal est très bien en Anandan, mais c'est surtout la performance de Prakash Raj que je retiendrai.

Iruvar présente de nombreux extraits des films dans lesquels Anandan est censé avoir joué, permettant de belles reconstitutions et un aperçu de la poésie épique de Tamilseldam (pas besoin de parler tamoul pour entendre que c'est du dialogue haut de gamme) Il faut mentionner notamment le prétendu film patriotique des années 40, où le pastiche respectueux est porté à son comble jusque dans les aspects techniques, et produit des images d'une grande poésie. Ces films sont aussi le prétexte de la plupart des chorégraphies, brassant 50 ans de cinéma tamoul. D'un duo classique, filmé en noir et blanc, à l'utilisation par Anandan de son image de "héros du peuple" contre le parti de son ancien ami (dans une délicieuse parodie de l'imagerie communiste, dont la relative froideur contraste avec la beauté d'Aishwarya filmée sous la pluie) en passant par ce très joli morceau riche en décors majestueux, le premier film que le héros tourne avec Aishwarya, et de nombreuses autres chansons :



Par ailleurs la musique, très variée, vaut vraiment le détour. C'est à mon avis une des B.O. les plus riches composées par A.R. Rahman

Iruvar, pour résumer, est à la fois un film courageux par sa volonté d'aller au-delà d'un mythe, une fresque relatant l'histoire de la politique du Tamil Nadu et de son cinéma depuis les années 1940, et surtout une belle histoire d'amitié, souvent émouvante et servie par une mise en scène toujours efficace. Je regrette quand même un peu que certain enjeux restent un peu confus pour qui, comme moi, ignore tout de la vie politique de cet Etat.



* dans le vocabulaire cinématographique indien, "héros" désigne toujours le personnage, voire l'acteur, principal (même s'il n'a rien d'héroïque), et "héroïne" le personnage féminin ou l'actrice qui l'interprète.
cf. ce dense mais passionnant article de Wikipedia sur l'anglais parlé en Inde.

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