24.9.07

Mangal Pandey, The Rising (2005) - par Nandini

Inde, 1857. Mangal Pandey (Aamir Khan), soldat indien incorporé au régiment des Cipayes, prend la tête d'une insurrection contre les abus de l'East India Company. Le peuple indien ne semble plus que l'ombre de lui même, une curiosité exotique, à l'image de Heera (Rani Mukerjee), si méprisée par la bonne société anglaise. En effet, certains commettent les pires exactions tels le viol ou le passage à tabac. Pourtant, nous ne sommes pas du tout dans l'exagération et d'autres figures viennent contrebalancer ces stéréotypes. Le capitaine William Gordon (Toby Stephens), par exemple, parle hindi et accepte volontiers de lutter, en toute amitié, dans l'arène avec Mangal Pandey. Ce drame historique n'est pas une restitution parfaitement manichéenne (Anglais/Indiens) d'événements véridiques froidement relatés. Au contraire, le spectateur assiste à une véritable réflexion sur la complexité des sentiments humains, sur les dilemmes susceptibles de tourmenter les individus situés au juste milieu. Ainsi vivons-nous le déchirement du héros entre son amitié indéfectible envers Gordon et la fureur éprouvée face à ces colons irrespectueux des indigènes. Que faire quand on vous intime l'ordre de tirer sur vos propres frères, quand on incendie leur village sous vos yeux ? La goutte d'eau : les nouvelles cartouches. Pour les décapsuler, il faut les mordre. Or, les munitions sont enduites de graisse animale quoique cela bafoue les interdits alimentaires des musulmans et des hindous qui composent le régiment Cipaye. Ce qui ne manquera pas de rappeler vaguement l'histoire d'un certain pantalon rouge, en d'autres temps et en d'autres lieux.

Une fois de plus, Ketan Mehta se veut un réalisateur engagé contre l'oppression et les abus du pouvoir, comme en 1980 dans Bhavani Bhavai puis, en 1985, dans Mirch Masala. Aussi met-il à profit cette histoire pour aborder d'autres aspects de la société indienne du XIXème siècle : le trafic d'êtres humains, l'esclavage, le système de castes ou encore la cruauté de certaines traditions. Un Intouchable serait-il finalement digne d'amitié ? Qu'en est-il de vendre son corps aux envahisseurs quand un soldat leur vend son âme ? Une veuve (Amisha Patel) n'a t-elle plus droit qu'à la mort ? Autant de questions qui ne peuvent, bien que d'autres les disent particulièrement clichées, laisser le spectateur indifférent. Il est dès lors difficile de ne pas vibrer à l'unisson de ces hommes et de ses femmes en route pour leur émancipation.

A la lecture de plusieurs critiques, il ressort que beaucoup s'attendaient à un remake de Lagaan dont le contexte historique est proche et, surtout, dans lequel jouait déjà Aamir Khan. La différence entre ces deux films : Lagaan mettait en relief une histoire d'amour sur un fond colonial sans grande portée. Cette fois, nous sommes bien loin des productions habituelles de Bollywood. La romance sans fioritures ni niaiseries qui naît entre le héros et Heera est, en effet, à peine esquissée pour ne pas dénaturer l'intérêt premier du film. Nous ne sommes en présence que d'un couple réaliste d'amoureux déchirés par les événements. Leurs apparitions ensemble à l'écran restent limitées. Je retiendrai surtout la séquence, émotionnellement forte, de leur mariage à la sauvette, dans la cellule de Mangal, la veille de son exécution. Par contre, j'émettrai plus de réserves sur la manière dont l'idylle survient entre le capitaine Gordon et Jwala (Amisha Patel). Si elle illustre à merveille le fait qu'il n'est pas d'obstacle insurmontable entre les cultures, je trouve un peu cliché la scène où le merveilleux soldat vole au secours d'une jeune femme en détresse, pour tomber amoureux ensuite de sa protégée.


En tout cas, il est impossible de ne pas être scandalisé face à l'acharnement que déploient les villageois pour emmener Jwala au bûcher funéraire. D'autant plus que, dans la demeure de Gordon, elle ne représente plus un fardeau pour eux et l'objet de leur requête devient nul. D'aucuns prétendent que le personnage de Jwala n'est pas d'une grande utilité. Je trouve au contraire qu'elle est le complément indispensable à Gordon, l'élément qui nous permet de saisir le choix cornélien du capitaine entre ce qui semble bien être sa patrie de cœur et sa nation de naissance. Je pense que c'est elle qui, surtout, achève de le convertir définitivement à la cause des Indiens (nous apprenons à la fin qu'un certain William Gordon, officier anglais, avait véritablement rejoint la rébellion). Il est toujours bienvenu de basculer d'un point de vue à l'autre pour ne pas sombrer dans une caricature stérile. Pour les sceptiques, il est de toute façon précisé en introduction que certains faits sont de pures inventions dont le but n'est autre que de romancer un film qui pourrait d'ailleurs vite devenir une leçon d'histoire ennuyeuse et insipide.




Enfin, il est indispensable d'aborder la BO du film. Ar Rahman et Javed Akhtar ont composé de superbes morceaux pour Mangal Pandey. Je me contenterai de citer ceux qui m'ont le plus plu. Mangal Mangal nous permet de faire connaissance avec ces chanteurs juchés sur un éléphant magnifiquement orné qui nous accompagneront tout au long du film et dont le chant devient vite obsédant. Cette chanson ouvre le film sur une image remarquable de l'animal sacré tout en majesté. Rani Mukherjee danse avec brio sur Main Vari Vari pour appeler l'âme sœur, je dirai juste que sa tenue rose bonbon ne lui sied pas autant qu'on aurait pu l'espérer.

Ce chant annonce Rasiya, qui accompagne le fameux baiser de Jwala et Gordon et remplace, au moyen de mouvements et de paroles particulièrement explicites, une scène qui aurait pu choquer les sensibilités. Quant à Holi Re, quoique la fête soit des plus réussies et constitue un topos du cinéma indien, on en saisit difficilement le lien avec le reste de l'histoire, si ce n'est qu'elle favorise le rapprochement entre Mangal et Heera. Je dirai même que c'est un des rares moments d'insouciance et de bonheur du film, excepté le passage où Gordon et Mangal Pandey, ivres, sont pris d'un fou rire communicatif après avoir joué un tour à leur ennemi commun.

Autrement dit, le spectateur ne peut être qu'agréablement surpris par cette œuvre magistralement interprétée. En tant qu'admiratrice d'Aamir Khan je ne saurais passer sous silence sa prestation et, sans sombrer dans l'excès, je dirais simplement qu'il a bien su saisir l'ampleur du personnage qu'il incarne. On reste bouche bée quand, à l'instant où la corde va lui ôter la vie, Mangal trouve encore le courage de lancer le signal de l'attaque. Le sacrifice accompli n'est que le point de départ d'une première guerre d'indépendance fort coûteuse pour l'Angleterre, qui se soldera par une reprise en main par la reine Victoria elle-même une fois les insurgés matés. Un avertissement. Bref, Mangal Pandey est mélange subtil d'amitié, d'amour et de trahison où les ingrédients sont savamment dosés.

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