10.9.06

Dil Se (1998)


Une histoire d'amour impossible, des chorégraphies, des chants, Shah Rukh Khan : à priori, les ingrédients sont ceux de n'importe quel drame bollywood. Et pourtant Dil se, tout en étant profondément indien, n'a pas grand chose à voir avec l'image que l'on se fait habituellement de Bollywood.
SRK est Amar, reporter envoyé par la radio All India dans une région frontalière pour enquêter sur l'état d'esprit des populations à l'occasion du cinquantième anniversaire de l'indépendance de l'Inde. Bien décider à comprendre les motivations de tous les Indiens, il part dans la jungle interviewer des activistes.
Au cours de son voyage, il rencontre à plusieurs reprises une jeune femme silencieuse dont il tombe vite amoureux (et ce love at first sight est la seule concession du scénariste aux topoï du genre), mais qui semble prête à tout pour qu'il cesse de la suivre.


Amar finit par se résoudre à oublier cette inconnue. Mais quand celle-ci, de passage à Delhi et sans ressource vient lui demander de l'aide, Amar, si obstiné lorsqu'il s'agit d'interviewer un leader terroriste, ne semble pas vraiment vouloir découvrir les raisons de ce soudain changement d'attitude à son égard.
Le spectateur accompagne Amar dans sa découverte d'une région au climat hostile et à la population peu accueillante. Les décors (quai de gare sombre et glacial, désert, montagne...) sont aussi loin des champs de fleurs de Veer-Zaara que des palais de Devdas.

Cette ambiance fait vite comprendre que le début du scénario, proche, quand on le résume, de celui d'une comédie romantique (toutes les tentatives de l'amant éperdu échouent devant le dedain de sa belle), n'est qu'un leurre et Amar apprend à ses dépends que la pauvreté et la guerre ne laisse que peu de place au romantisme. Mani Ratnam s'emploie par ailleurs à détourner les éléments récurrents des histoires d'amour bollywoodiennes. Meghna laisse entendre qu'elle est mariée, puis que sa famille s'opposerait à une union avec un homme originaire d'une autre région, mais ce ne sont que mensonges. Le véritable obstacle à leur amour est bien plus difficile à surmonter, et le triomphe final de la passion est loin d'être assurer.

Une image de la chanson Dil se re, très représentative de l'esthétique du film : l'émotion n'est pas assénée, il faut la découvrir derrière une façade plus austère que dans d'autres films

Il faut dire que Dil se n'idéalise pas l'amour. Celui-ci, fort et violent, n'en est pas pour autant tout-puissant. Bien qu'il aime Meghna "du fond du coeur" (traduction du titre), Amar comprend bien que ce sentiment n'a rien de raisonnable et accepte un mariage arrangé, tandis que Meghna refuse d'emblée d'éprouver le moindre sentiment pour Amar, et s'enfuit lorsqu'elle sent que sa résolution commence à faiblir. Mani Ratnam à en outre l'ambition de livrer une peinture de l'amour qui s'inspire de la tradition arabe évoquée par l'une des chansons et par le titre: l'amour "Dil se " est le septième et dernier degrès de la passion. C'est dire si on est loin de l'image monolithique de l'amour habituellement présentée!
Ce souci de réalisme et de nuance se retrouve dans le caractère des personnages. Amar est loin d'être parfait, il n'est pas l'habituel "héros de l'amour". Il est certes prêt à mettre sa vie en danger pour sauver Meghna, mais celle-ci est par certains aspects plus forte que lui. Amar sent que Meghna lui cache quelque chose d'important mais accepte bien facilement que celle-ci refuse de répondre à ses questions, persuadé qu'il est que l'amour peut tout arranger, attitude bollywoodienne par excellence dont le caractère illusoire apparaît clairement . Cet aveuglement, que seules de douloureuses mésaventures parviennent peu à peu à estomper, le précipite dans la tragédie. En outre sa tolérance et sa compassion ne sont pas sans limites : il ne supporte pas que l'on critique l'armée, dans laquelle son père était officier. Shah Rukh Khan prouve qu'il peut être un très bon acteur lorsqu'on lui propose des rôles consistants et exprime très bien toutes les nuances de son personnage.

Tandis que Preeti cherche à attirer son attention, Amar monte son reportage sur le bilan des cinquante ans d'indépendance.
Les extraits d'interviews qui constituent la bande-son sont un véritable réquisitoire contre la politique de l'Inde dans les régions reculées.

Le rôle de Meghna (interprété par une actrice que je ne connaissais pas, Manisha Koirala) est lui aussi tout en finesse. Cette jeune femme, qui se croit destinée à la mort et à la haine et ne perd jamais de vue le but qu'elle s'est fixé semble néanmoins vaciller devant l'amour d'Amar. Manisha Koirala laisse transparaître la souffrance de cette femme qui comprend que seule l'amour pourrait la sauver de la violence, mais se refuse cependant à y céder.


A la mort et à la haine incarnées Meghna fait contrepoint la figure de la jolie Preety (Preity Zinta) , la fiancée d' Amar. Celle-ci est aussi franche que Meghna est secrète (elle n'hésite pas à questionner Amar sur ses expériences sexuelles), aussi libre que celle-ci se sent prisonnière de ses engagements.
Tout le film baigne dans une ambiance de tension et de violence. La violence de la guerre, dès les premières images, celle de l'amour et du désir exprimée par de brusques éruptions de couleurs vives dans les chorégraphies (qui permettent d'apprécier la qualité de la photographie), sont servies par une mise en scène intelligente et sobre (pas de frime, pas de complaisance douteuse). Les scènes d'action qui ponctuent la montée de la tension sont pour une fois crédibles.


Les passages musicaux respectent ce climat général. La musique moderne et originale d'A. R. Rahman est à juste titre célèbre (notamment la chanson "Chaiyya Chaiyya" reprise par Spike Lee dans Inside Man). Les chorégraphies sont impressionnantes, et les mises en image constamment inventives. La plupart d'entre elles semblent exprimer les pensées et les rêves des personnages. Ainsi, dans "Dil se re", Amar s'imagine sauvant Meghna par la seule force de son amour et l'arrachant à la violence, avant de se réprésenter vivant avec elle, entouré d'innombrables enfants. Si la chorégraphie de "Jiya Jale" surprend un peu, elle peut néanmoins s'expliquer comme une dernière ode à la vie et au désir avant la violence des dernières séquences.


Chaiyya Chaiyya

Enfin, et surtout, Mani Ratnam refuse tout manichéisme, et livre une réflexion intéressante sur la liberté à travers la mise en parallèle des attitudes de Meghna et de Preety face aux contraintes sociales.




6 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour Adeline,

Oui, bien ton commentaire. Tu sais que Dil se passe pour être un des meilleurs films de ces dernières années - en tout cas par les amateurs un peu sérieux!
Tiens, si tu sais lire l'anglais, voilà ce que j'en avais pensé:
http://www.letstalkaboutbollywood.com/article-5310247.html

Merci pour ton blog!
Yves

Anonyme a dit…

J'adore Chaiyya Chaiyya, la séquence est purement enivrante et envoutante. La chanson est obsédante.
Rom.

Anonyme a dit…

Superbe chanson, ça donne vraiment envie de voir le film ! d'autant que le cadre a l'air radicalement différent d'un Devdas...
N'empêche, ça ferait un bon sujet de master : "De Properce à Shah Rukh Khan" ;-)

Eunostos

Adeline a dit…

Merci pour ton commentaire,

je te prête volontiers le DVD ! en effet c'est bien différent de Devdas, mais les deux films ont leur charme.
j'avais pensé à un M2 du genre "musique et diégèse, du théâtre antique à Bollywood" ;-)

Adeline

Anonyme a dit…

Ah! Dil se...
Une fois que le génerique de fin est apparu,je me suis dit que je ne reverrais jamais ce film et que je l'oublierai vite...quelle erreur!
C'est vraiment le genre de "truc" qui vous poursuis alors que vous croyez l'avoir oublier...(je ne m'explique pas très clairement!)
Enfin,un mois après l'avoir vu,j'y pense encore en me disant :"et si elle avait fait ça" "et si il avait dit ça"...ah,ca me donne envie de le revoir!(d'autant que les sous titres francais étaient pourris,et je n'ai pas tout compris avec les sous titres anglais).
Pardon pour ce commentaire un peu long et pas franchement utile !

Adeline a dit…

hello Yuuki,

pas de quoi s'excuser, au contraire, ton commentaire rappelle des souvenirs. ça m'a fait exactement la même chose.
Et évidemment je l'ai revu plus d'une fois, à chaque fois d'une façon différente, à chaque fois avec une interprétation différente de ce dernier plan.
La seul chose qui n'a pas changé, c'est le choc que me font à chaque fois les quarante dernières minutes, avec leur tension incroyable.
Je ne connais malheureusement pas d'édition possédant de bons sous-titres français, peut-être y en aura-t-il une un jour... Le film le mérite en tout cas.

A2line