14.4.20

Rang De Basanti (2006)

Sue, une réalisatrice anglaise, vient en Inde tourner un film sur Bhagat Singh, martyr de la lutte pour l'indépendance. Elle rencontre un groupe de jeunes gens désabusés, qui finissent par accepter de jouer dans son film. A la suite d'un drame, les acteurs vont être conduits à regarder d'un œil nouveau ce pan de leur histoire et à s'identifier de plus en plus à leur personnage.

Pour parler d'un film, le mieux est quand même déjà de comprendre son titre. Et là, ça se complique. rang de ("colorie") ne pose pas de problème, mais basanti, c'est une autre paire de manches. Fions-nous au bon vieux dictionnaire Platts :

On peut, je pense, oublier la déesse de la variole. Basanti est l'adjectif dérivé de basant, le printemps, et désigne donc la couleur de la moutarde qui fleurit à cette saison. Vous savez...

Oups... pas le bon film

Donc mot-à-mot "Peins-moi en jaune". Sauf que sur Netflix, les sous-titres parlent de la "couleur du patriotisme". Et mon DVD traduit "la couleur du sacrifice". On sent vite que c'est plus qu'une histoire de nuances de jaune. Pour tout arranger, c'est une expression associée au révolutionnaire Bhagat Singh, qui a utilisé la formule dans un poème célèbre.

Pour parler encore un peu de couleurs, notons que le film comporte des morceaux du film tourné par Sue, en sépia, qui tendent de plus en plus à se mêler au film cadre, dominé par des couleurs froides (bleues notamment), mais qui s'achève naturellement dans une explosion de jaune printanier.

 Un petit air de Gladiator, non ?

Un mot sur les acteurs. Aamir est trop vieux, malgré la tentative de justifier son âge dans les dialogues. Mais tout le monde est excellent, et c'est plaisant de voir un casting pan-indien avec aussi bien Atul Kulkarni que Siddharth et Madhavan. Et dans les petits rôles, des pointures : Waheeda Rehman, Om Puri, ou encore Mohan Agashe.

Revenons à l'histoire. Sue a trouvé le journal de son aïeul, un soldat britannique qui a connu Bhagat Singh, et rêve de tourner un film en Inde sur le révolutionnaire. Le scénario aurait pu jouer sur le choc des cultures, faire faire des gaffes à Sue ou lui faire parler un hindi atroce : mais non, son personnage semble même mieux connaître l'histoire du pays que les Indiens. D'ailleurs les Anglais sont dépeints avec nuance (ce qui est rare à Bollywood), on sent ici que le vrai sujet du film n'est pas le combat contre les Britanniques.

"Pas de musique occidentale ici !"

Sonia, le contact de Sue, lui fait rencontrer une bande d'étudiants (dont Aamir Khan, 41 ans...), qui jettent sur l'Inde un regard désabusé et ne font pas grand chose de leur vie (à l'image de DJ, qui traine encore à la fac cinq ans après avoir fini ses études) et finissent par se laisser convaincre de jouer dans le film. Se joint à eux un élément extérieur, Lakshman Pandey (Atul Kulkarni, un acteur que j'adore), membre d'une milice d’extrême-droite hindoue. Son intégration très progressive dans le groupe (il a du mal avec "les jeunes d'aujourd'hui", et particulièrement avec le musulman de la bande) est un des axes de l'histoire (car naturellement, il s'agit d'aller au-delà des divisions politiques et religieuses pour sauver son pays. C'est beau mais pas vraiment original). Gravite autour d'eux Ajay, pilote de l'armée de l'air et fiancé de Sonia.


La chanson Rang de Basanti nous les montre entrant dans leur personnage en même temps qu'ils visitent le Pendjab. Mais le tournant radical est la mort d'Ajay, à bord d'un avion militaire de mauvaise qualité. Écœurés par la corruption qui conduit à ce drame, ils décident (très vite quand même pour de jeunes gens ordinaires) d'assassiner le ministre concerné, renouant ainsi avec l'action directe de Bhagat Singh. Ce dernier en effet se distinguait de Gandhi et de ses partisans par son mode d'action armé incluant l'assassinat d'officiers anglais. Notons qu'à ce moment les personnages féminins se retirent du scénario : visiblement l'action, ce n'est pas pour les femmes.

Bhagat Singh avait-il raison contre Gandhi ? DJ et ses amis ont-il eu raison ? Le film ne condamne évidemment pas Bhagat Singh, un héros dans son pays, mort en martyr, et se garde de juger trop sévèrement l'action des jeunes gens, donnant aux personnages l'occasion d'expliquer leur geste dans une scène à l'antenne de All India Radio et leur offrant une apothéose radieuse dans les dernières images. On ne peut que regretter l'inclusion entre les deux scènes d'une sorte de radio-trottoir montrant l'influence de leur acte sur leurs compatriotes ; ça se veut très optimiste, tout le monde a l'air très motivé pour lutter contre la corruption, mais ça ralentit le film et fait retomber l'émotion que le climax à la radio avait fait monter très haut. La fusillade de la radio est une des meilleures scènes d'action du cinéma indien.

Le grand sujet du film, qui passionne tant les nationalistes d'aujourd'hui, c'est le patriotisme. Le ministre corrompu assassiné est décrit par les chaines d'information comme "un grand patriote". Lakshman Pandey , le militant d’extrême-droite qui traite Aslam de "sale Pakistanais" et condamne la culture occidentale se voit très certainement aussi comme un patriote. Mais DJ et sa bande n'ont pas grand chose à faire de l'Inde et de son avenir : le système, jugent-ils, est pourri jusqu'à la moelle (du petit pot-de-vin donné à un policier à la corruption de grande échelles des industriels et des ministres), à quoi bon avoir gagné l'indépendance ? Ajay, le militaire prêt à se sacrifier pour son pays est évidemment d'une autre opinion. Mais le groupe va découvrir que si le patriotisme de Bhagat Singh était orienté, logiquement, contre les Anglais, il doit orienter le sien vers l'ennemi d'aujourd'hui : la corruption qui met en péril leurs concitoyens. S'engager en politique, manifester, sont autant de preuves de patriotisme. Et l'on retrouve finalement presque une conception gandhienne de la lutte : avant de te battre pour l'indépendance, bats-toi avant tout pour la vérité et la justice ; pour changer le pays commence par te changer toi-même.

Pour la petite histoire, j'ai découvert ce film à l'époque de sa sortie, et je n'avais pas du tout aimé. J'étais alors à fond dans la non-violence et le propos du film m'avait beaucoup heurtée. Aujourd'hui, je suis plus mesurée.

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