8.5.20

Om Puri (1950-2017)

Om Puri (à gauche) avec Naseeruddin Shah 
 
Cet article est une mise à jour d'une biographie écrit en 2011 pour Fantastikindia

Om naît au Pendjab de parents pauvres et peu éduqués. Il passe ses journées à les aider en lavant les tasses des clients du dhaba dans lequel ils travaillent. Il ne commence l’école qu’à huit ans, grâce à l’aide financière d’un membre de sa famille. Plus tard il financera ses études en donnant des cours particuliers. A cet âge, il a déjà le visage grêlé qu’on lui connaît, séquelle d’une varicelle. Bien décidé à devenir acteur, Om suit les cours de la National School of Drama de Delhi et du Film and Television Institute of India de Poona. 


Lorsqu’Om Puri finit ses études, nait en Inde un courant qu’on a parfois appelé New Cinema, qui regroupait réalisateurs, scénaristes et acteurs désireux de proposer une alternative au cinéma commerciaux qui s’était imposé dans les années 1970. C’est au sein de ce courant qu’Om fait ses débuts. Il y côtoie Shabana Azmi, Naseeruddin Shah, et surtout Smita Patil qui a fréquemment joué sa femme ou son amie. On peut remarquer que si tous ont joué des personnages luttant contre la misère, Om est le seul à ne pas venir d'une famille aisée.


Les réalisateurs de ce nouveau cinéma s’opposent au cinéma commercial qu’ils jugent très sévèrement, et souhaitent (en théorie du moins) offrir à leurs acteurs des rôles non stéréotypés qui exigent un véritable travail d’acteur. Le corollaire de ce souhait est qu’ils choisissent leurs acteurs plus en fonction de leur talent, et moins selon leur popularité, leur beauté ou leur famille. L’idéal pour Om, alors inconnu, et qui ne dispose ni d’un physique d’Apollon, ni d’une famille bien implantée dans le milieu du cinéma.  Il va travailler avec tous les grands noms de ce courant, et très vite se spécialise dans les rôles d’opprimés : intouchables, Adivasis (membres de tribus aborigènes), habitants d’une bidonville (Dharavi), paysans sans terre (Arohan, de Benegal)…  Beaucoup des films de cette époque ont en effet un thème social, et cherchent à faire entendre la voix de populations souvent réduites au silence.
Parmi ses rôles les plus marquants, celui de Lahanya Bhiku dans Aakrosh  (1980), de Govind Nihalani, un Adivasi accusé du meurtre de sa femme qui ne dit pas le moindre mot pour sa défense, malgré les efforts de son avocat plein de bonne volonté.  Un rôle quasiment muet pour Om, qui exprime par son seul regard l’impuissance, le désespoir et la colère de son personnage.


C’est après avoir vu Aakrosh que Satyajit Ray propose à Om le rôle principal dans Sadgati, un moyen métrage en hindi qu’il réalise pour la télévision et qui constitue une féroce dénonciation de l’intouchabilité. Dukhi, un intouchable  accomplit pour un brahmane une série de tâches qui finissent par le tuer. Om raconte combien il était intimidé de travailler avec un si grand réalisateur. Le premier jour du tournage, le célèbre réalisateur lui demande d’entrer « précautionneusement » dans la maison du brahmane. De plus en plus nerveux, Om lui avoue qu’il ne connait pas le sens de ce mot. Le réalisateur lui explique « lorsqu’un chien ou une chèvre entre dans une maison qu’il ne connaît pas, il y entre « précautionneusement ». C’est cette chèvre apeuré qui a inspiré le langage corporel de Dukhi le tanneur. 





Om a tourné avec tous les réalisateurs marquant de ce mouvement : Shyam Benegal, Gautham Gose (Paar) , Mrinal Sen (Genesis),  Ketan Mehta, la réalisatrice Sai Parajpye (Sparsh), et surtout Govind Nihalani, qu’Om considérait comme son ami et son mentor et qui lui a offert quelques uns de ses rôles les plus intéressants. Outre dans Aakrosh, Om apparaît aussi brièvement dans Party, un huit-clos assez théâtral sur le thème de l’engagement politique, dans le rôle d’un militant de la cause adivasie. Mais le rôle le plus important est celui d’Anant, le héros d’Ardh Satya, un policier consciencieux, haïssant la corruption, mais fragile et violent. Un personnage de policier très original, car la violence est ici présentée comme la preuve de la fragilité psychologique de son personnage, à l’opposé de la glorification de la brutalité policière si fréquente dans les films de cette époque (voir les rôles de Sunny Deol).  Il a aussi le premier rôle dans le feuilleton TV très controversé que Nihalani a réalisé sur la Partition, Tamas (1987).

A l’extrême opposé des rôles dramatiques qui l’on fait connaître, se trouve celui qu’il interprète dans l'hilarante comédie satirique Jaane Bhi Do Yaaro de Kundan Shah. Ahuja est un promoteur immobilier nouveau riche, rustre, violent, corrompu, et tellement alcoolisé qu’il peut parler cinq minutes à un cadavre sans même réaliser que son interlocuteur est mort. Om interprète avec entrain ce personnage comique, et se plie volontiers au jeu du slapstick et des gags visuels. Cheveux plaqués, vêtement criards et sourire charmeur, il continue dans la veine comique la même année dans Mandi de Benegal, en photographe de charme prêt à tout pour approcher les prostituées qui lui servent de modèles. On a néanmoins le droit de le préférer dans un registre plus réaliste.

Il épouse en 1990 Seema Kapoor, mais leur mariage ne dure que huit mois, et leur séparation se passe très mal. Om rencontre celle qui sera sa seconde épouse, Nandita Puri, et demande le divorce en accusant Seema d’adultère, ce qu’il reconnaît plus tard avoir été une accusation mensongère...

Sa première apparition dans un film étranger remonte  à 1982 : il joue un hindou qui se repent d’avoir participé aux violences contre les musulmans de Calcutta et vient supplier Gandhi de mettre fin à son jeûne dans le film de Richard Attenborough. 



Mais c’est la Cité de la Joie (1992) qui le fait connaître du public occidental. Sur les affiches, la star du film est Patrick Swayze ; mais ceux qui ont vu le film savent qu’Om lui vole la vedette ! Une anecdote qu’il raconte au sujet de son rôle de tireur de rickshaw en dit long à la fois sur sa façon de travailler et sur son statut un peu à part dans le cinéma indien. Om a commencé à se préparer pour ce rôle bien avant le début du film. Il est allé à Calcutta et a appris à tirer un rickshaw avec des rickshaw-walas professionnels. Rapidement, il s’est aperçu qu’aucun d’entre eux ne portait de chaussures. Il renonce aux siennes, non sans mal. Un jour, alors qu’il s’était arrêté pour boire un thé, il remarque que deux clients l’observent. Le premier dit à son ami : « Tu ne trouves pas qu’on dirait Om Puri ? », l’autre approuve.  Om finit son thé, puis va confirmer aux deux clients incrédules qu’il est bien Om Puri, avant de récupérer son rickshaw. En partant, il les entend dire derrière lui : « Pauvre homme. Quelle tristesse de le voir ainsi. C’était un si bon acteur. Et aujourd’hui il tire un rickshaw, tu imagines ? »  Om, un acteur qui prépare soigneusement ses rôles, dont le talent est reconnu, mais dont la situation paraît encore assez instable, plus d’un demi-siècle après le début de sa carrière, pour que ces deux hommes aient pu croire qu’il était tombé dans la misère.


Cinq ans plus tard, il inaugure une série de rôle d’immigrés pakistanais en Angleterre avec My Son The Fanatic d’Udayan Prasad. Il est Parvez, père de famille on ne peut plus intégré qui doit faire face au fondamentalisme de son fils. Son interprétation toute en finesse, notamment lorsque Parvez est face à Bettina, la prostituée qui est sa seule amie, est vraiment le point fort du film. Le revoilà en père de famille dans East is East (1999, le titre « français » est Fish and Chips), qui traite aussi de la problématique de l’intégration et du conflit entre générations, mais cette fois l’action est située dans les années quatre-vingt et c’est à l’occidentalisation et au désir d’émancipation de ses enfants que son personnage s’oppose. Le film a eu une suite sortie en 2010, West is West. On l’aperçoit aussi en imam intégriste dans Shoot on Sight, un film sans grand intérêt sur la psychose qui a suivi les attentats de 2005 à Londres. L’étudiant qui n’osait pas parler anglais devant ses camarades de la National School of Drama de peur qu’ils se moquent de son accent est aujourd’hui un des acteurs indiens qui ont le plus tournés dans des films étrangers.


Parmi ses autres rôles notables, celui de Ghulam Mohammed, dans l’adaptation d’Un si long voyage de Rohinton Mistry. Un personnage mystérieux, tantôt chauffeur de taxi serviable, tantôt dangereux agent spécial.  Om a aussi interprété le général Zia, qui dirigea le Pakistan dans les années qutre-vingt dans Charlie Wilson’s War, avec Tom Hanks.


Coté vie privé, il se sépare de Nandita, qui l'accuse de violence, en 2013. Grand acteur, mais décidemment pas toujours un homme très sympathique.

Et le cinéma indien pendant ce temps ? Eh bien le déclin du New Cinema  au début des années 1990 diminue les opportunités pour un acteur au physique aussi peu commun. Et voici qu’Om Puri, comme tant d’autres acteurs aux parcours similaires, se met à accumuler les seconds rôles de pères ou d’oncles, que ce soit dans un registre plutôt sérieux, comme dans Rang de Basanti (le père d’Aslam), ou dans des comédies (Singh is King). D’autres rôles (la plupart ?) sont franchement négatifs, tel l’inspecteur qu’il joue dans Dabangg.  Il apparaît aussi dans Hey Ram, réalisant ainsi son rêve de jouer avec l’acteur qu’il admire le plus, Kamal Hassan.  Il y a heureusement des exceptions comme China Gate de  Rajkumar Santoshi , dans lequel il a le premier rôle, celui du leader de cette bande de militaires retraités venus éliminer le bandit qui terrorise un village. Mais il faut dire que China Gate, s’il réunit un ensemble d’excellents acteurs (Amrish Puri, Naseeruddin Shah, Danny Denzongpa, Kulbhushan Kharbanda), n’a pas de star au sens propre. Son dernier rôle notable est celui d'un mollah pakistanais dans le beau Bajrangi Bhaijaan, avec Salmant Khan. Il meurt d'une crise cardiaque en 2017.


On pense souvent, à tort, qu’Om Puri est de la famille d’Amrish Puri. Comme cet autre grand acteur à l’apparence peu commune, Om aurait pu se retrouver cantonné à un seul type de rôles, de plus en plus stéréotypés. Il s’est heureusement trouvé des réalisateurs, au premier rang desquels Govind Nihalani, pour explorer toutes les facettes de son talent. Om, de son côté, a saisi toute les occasions de diversifier ses rôles, en jouant beaucoup en anglais et natuellement en hindi, mais aussi, régulièrement, dans sa langue maternelle, le punjabi. S’il n’a jamais eu de rôle typique de héros de films commerciaux, il a en revanche réussi à s’imposer comme un acteur incontournable du cinéma d’auteur, avant de devenir un second rôle apprécié de films grand public.

Livre de référence : Nadita Puri ,Unlikely Hero: The Story Of Om Puri, 2009. Il faut noter que cette biographie, écrite par son ex-épouse, n'a pas été approuvée par l'acteur

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