17.7.08

Kannathil Muthamittal (2002) - Tamoul

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Dans un camp de réfugiés du Tamil Nadu, une jeune Tamoule du Sri Lanka (Nandita Das) donne naissance à une petite fille avant de repartir, pour rejoindre son mari resté dans son pays. Neuf ans plus tard, la petite Amudha (P.S. Keerthana) nous présente sa famille: son père Thiruchelvan (Madhavan), ingénieur et écrivain, sa mère Indra (Simran), présentatrice du journal télévisé, et ses deux petits frères. Lorsqu'elle apprend qu'elle a été adoptée, elle décide de retrouver sa mère biologique, d'abord par ses propres moyens, puis avec l'aide de ses parents adoptifs.

Suivant son habitude,Mani Ratnam aborde ici plusieurs sujets délicats et difficiles à traiter, l'adoption et la guerre au Sri Lanka, et comme presque toujours il les traite avec une finesse et une humanité remarquable. Alors que les enfants ont rarement la vedette dans les films indiens, il choisit de faire d'Amudha le coeur de Kannathil Muthamittal. La jeune P.S. Keerthana possède assez de charisme pour porter le film. Passé le prologue, elle est la véritable héroïne de Kannathil Muthamittal : elle figure d'ailleurs dans toutes les chansons. L'un des clips fait une drôle d'impression : Amudha et son père visitent le Sri Lanka, et se promènent dans des paysages magnifiques. On pourrait remplacer la petite fille par une actrice adulte et avoir un duo romantique typique. Belle manière pour Mani Ratnam de montrer l'amour de Thiruchelvam pour sa fille, en détournant les codes des chansons romantiques.



Une autre version de la même chanson, réalisée d'une façon plus classique, contient de beaux moments de tendresse entre Amudha et sa mère. Le seul passage qui soit moins nettement centré sur Amudha est un flash-back sur ses parents adoptifs. Cette séquence, bien qu'assez réussie en soi (Comment Ratnam parvient-il à rendre si bien l'atmosphère d'une petite ville maritime ?) manque un peu de dynamisme et ralentit inutilement le film. On a l'impression qu'elle sert surtout à caser, quelque part dans le film, une histoire d'amour.



Les relations familiales sont abordées avec beaucoup de sensibilité, sans jamais verser dans le mélodrame - et la dernière scène est exemplaire à cet égard. Les hésitations de la mère biologique, la jalousie et les maladresses des deux petits frères d'Amudha, les dilemmes des parents inquiets pour leur fille, qui ne savent pas bien comment réagir à ses fugues, les débuts de tensions qui surgissent au sein d'un couple qui s'était formé autour de ce bébé abandonné, tout fait vrai sans que rien ne soit asséné, sans qu'aucun jugement ne soit porté.

Arrivée au Sri Lanka, Amudha, qui visite d'abord la capitale en touriste, découvre rapidement un pays en guerre, où le calme des grande villes peut à tout instant être brisé par un attentat suicide, où les campagnes sont ravagées par une guerre qui force des milliers de familles tamoules à fuir leur village. Mani Ratnam prend clairement parti pour la rébellion tamoule, et invite discrètement les Tamouls d'Inde à soutenir leur frères du Sri Lanka ("Tu parles un tamoul bizarre, dit Amudha à un homme dans un parc de Colombo, - Mais c'est aussi du tamoul" lui répond-il). Une séquence dans un camp de la rébellion montre toute une société parallèle dont il souligne les aspects positifs, filmant surtout des activités pacifiques, soins aux blessés, écoles pour garçons et filles. Mais ces mêmes petites filles sont également montrées les armes à la main, devenues des enfants-soldats : là encore, pas trop de manichéisme. Les scènes de violences, jamais gratuites, sont remarquablement tournées et réussissent à choquer sans tomber dans le gore, qu'il s'agisse d'un attentat suicide vu à travers le regard d'Amudha, de bombardements menaçant une file de réfugiés, parmi lesquels la famille d'Amudha espère trouver sa mère, ou encore d'une prise d'assaut assez spectaculaire et crédible dans un village, qui fait tomber à l'eau le rendez-vous organisé avec sa mère.




Un film chaudement recommandé, représentatif de ce que le cinéma indien fait de mieux.

6.7.08

Fanaa (2006) - par Nandini

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Avertissement : cette critique relate l’histoire de bout en bout, au cas où vous ne voudriez pas connaître la fin avant d’avoir vu le film…


Fanaa. Qu’en dire pour en faire ressortir l’originalité ? Dans la grande tradition de Bollywood il s’agit encore d’une histoire d’amour impossible. Zooni (Kajol), jeune fille aveugle de naissance et par conséquent vulnérable, quitte son cocon familial dans le Kashmir pour Delhi, où elle doit présenter un spectacle avec sa compagnie de danse. L’esprit empli des poèmes évoquant le prince charmant que lui récite sa mère, Nafisa (Kiron Kher), Zooni part pour la ville. Comment la jeune ingénue va-t-elle affronter cet univers inconnu et menaçant ? Un des thèmes de Fanaa : la confiance en l’autre, en l’inconnu… à qui peut-on vraiment se fier ? Zooni, quoique protégée par ses camarades, ne tarde guère à tomber sous le charme d’un guide séducteur, Rehan (Aamir Khan), qui lui déclame de doux poèmes, auxquels elle répond volontiers, emportée par son âme de poétesse, et n’hésite jamais à profiter de son handicap pour chercher le contact physique. Ce qui devait arriver arrive… mais, surprise pour le spectateur, c’est Zooni elle-même qui met un terme rapide à la relation avant de repartir chez elle. Peu habitué à se trouver dans cette situation de l’amant congédié, Rehan comprend son amour pour elle et retourne la chercher dans le train… La romance débute avec la bénédiction des parents de Zooni, et un miracle, tel qu’on en trouve qu’à Bollywood, se produit : la maladie de Zooni, mal diagnostiquée, se soigne aisément par une simple opération que finance Rehan… Toutefois, sinon le film serait bien trop court (!), le jour où la jeune femme recouvre la vue, Rehan meurt dans un attentat.



Du moins c’est ce qu’il tente de lui faire croire, soi disant pour la protéger. Car le charmant guide n’est autre qu’un terroriste qui se trouvait à Delhi dans le cadre de sa mission. Zooni, abandonnée, regagne le foyer parental. Cependant, elle n’y retourne pas vraiment seule puisqu’elle accouche bientôt d’un petit Rehan, fruit de ses brèves amours avec celui qui restera en partie pour elle un inconnu, une ombre de sa précédente vie….


Jusqu’au jour où un militaire en cavale et blessé, qui n’est autre que Rehan, frappe à sa porte par une nuit d’hiver. Il la reconnaît immédiatement mais elle non, pour ne l’avoir jamais vu. Situation inversée, cette fois c’est Zooni, ignorante, qui soigne ce soldat inconnu. Ce dernier, surpris de se découvrir une famille, repousse d’abord le petit Rehan qui est tout heureux de s’être trouvé un père de remplacement. Des sentiments renaissent et Rehan finit par révéler sa véritable identité, avant d’épouser Zooni pour de bon. Mais là encore rebondissant : il ne faut pas oublier que ce soldat est en réalité un terroriste, un héros qui au terme d’une aventure rocambolesque est parvenu à dérober une tête nucléaire qu’il entend faire exploser en Inde… Le père (Rishi Kapoor) de Zooni le devine par le biais du journal télévisé et y laisse la vie. Quelle décision va prendre Zooni ? Pour le savoir il ne vous reste qu’à voir le film, si ce n’est déjà fait.



Trivialement, Fanaa se présente comme la découverte de l’amour et de ses dangers par une jeune Indienne, sur fond de guerre pour l’indépendance du Kashmir. Au début, le spectateur pense qu’il va avoir affaire à l’inévitable question de l’émancipation des jeunes filles. Quand Zooni cède à Rehan et quand nous apprenons l‘existence de leur fils, nous avons immédiatement à l’esprit le blâme à venir quant au comportement d’une jeune femme, qui s’est voulue libérée et n’a réussi qu’à devenir fille mère. Et pourtant non, puisque, comme je l’ai dit, c’est Zooni qui, en femme moderne, décide de mettre un terme à sa relation avec Rehan avant de revenir avec lui, et à aucun moment, reproche n’est fait, même pas dans la bouche du père, de ce fils illégitime. Certes, le retour de Rehan est l’occasion de régulariser la situation. Le spectateur perçoit que le sujet est plus profond que cela, malgré le côté bateau du film.
Si nous parvenons à nous écarter de l’aspect rebattu de l’intrigue, nous découvrons que Fanaa est un film qui repose essentiellement sur le dilemme. En effet, Zooni doit-elle quitter le foyer parental ? Son père pense que non pour protéger sa fille adorée de la malveillance du monde, sa mère au contraire pense que cette expérience peut l’enrichir et l’émanciper. Zooni doit-elle se laisser séduire par ce bel inconnu ? Non, car visiblement, nous le constatons lorsqu’ils sont au restaurant, Rehan est un séducteur invétéré, qui aime profiter des touristes. Oui, parce qu’il trouve les mots justes. Rehan doit-il tout abandonner pour la femme qu’il aime ou doit-il répondre aux pressions de son groupe ? Zooni doit-elle laisser agir son mari pour préserver égoïstement sa famille ou doit-elle l’empêcher de tuer des millions de gens ? Le spectateur vit ce déchirement à l’unisson d’une jeune femme qui ne semble pas avoir droit au bonheur… En effet, chaque fois qu’elle le touche du doigt, elle paye son succès d’une nouvelle perte. Sa guérison se solde par la mort de Rehan, la naissance de son fils s’accompagne du décès de sa mère, son mariage enfin concrétisé se clôt aussitôt par la mort du mari (il fallait bien le révéler à un moment où à un autre de la critique). Fanaa est avant tout le supplice de Tantale infligé à Zooni, une course vaine pour le bonheur.



Zooni, est la douceur même, la joie de vivre. Rehan, un esprit torturé. Zooni est l’émissaire de la paix quand elle parle de son Kashmir natal en dansant sur Des Rangila. Rehan est la violence des attentats. Finalement, c’est le message de paix qui l’emporte dans la douleur sur la haine. Et cette douleur atteint, à mon sens, son paroxysme dans la scène finale, quand Zooni et le petit Rehan se recueillent sur les tombes de Rehan et de Zulfikar, le père de Zooni, unis côte à côte pour l’éternité. Nous pouvons juste regretter qu’à nouveau nous n’ayons qu’une vision manichéenne de la situation : d’un côté le terrorisme, de l’autre l’amour, et pas de compromis. De toute façon, le titre du film annonce ce cheminement vers l’anéantissement, puisqu’en Urdu « Fanaa » signifie destruction. Autrement dit l’échec scande inexorablement l’histoire et, bien que nous ayons envie d’y croire autant que Zooni, nous savons que tout espoir restera vain.
Je soulignerai également qu’il est rare d’avoir un protagoniste féminin. Kajol adopte à merveille les traits de son personnage que nous voyons évoluer de jeune fille innocente à l’état de mère de famille accablée de responsabilités envers son pays. Mention spéciale pour elle car il n’est pas évident d’interpréter le rôle d’une personne non voyante…
Je ne peux vous livrer une tentative de critique de Fanaa sans en évoquer les musiques et j’avoue avoir un faible pour Des Rangila. A l’instar d’Aisa Des Hai Mera pour l’Inde dans Veer-Zaara, cette chanson célèbre le chatoiement du Kashmir et la douceur de vivre qui y règne. Cependant, si les arrangements et les costumes sont très Kashmiri, le contexte de fête nationale et le refrain Vande Mataram (venant du national song indien) montre que l'amour que Zooni porte à son Etat n'est pas exclusif et se marie sans heurt avec son patriotisme, à la différence de l'attachement de Rehan pour le Kashmir. Kajol parvient encore à exprimer avec grâce ses talents de danseuse. Mais pour ce qui est de l’esthétique du décor et des costumes, je préfère Mere Haath Mein qui décline un univers fantasmagorique digne des contes de fées allié à des extraits du mariage de Zooni et Rehan. Cette chanson est l’occasion pour nous de constater comme un repentir de Rehan, qui signe le début du dilemme qui conduira ce personnage à choisir la mort en guise de libération. En réalité, j’ai apprécié toute les musiques du film pour des raisons diverses : Chanda Chamke pour ses intonations de comptine, Dekho Na pour son introduction mêlant le bruit de la pluie à un instrument traditionnel par exemple.
Pour conclure sur un mode plus humoristique que le thème de la destruction, j’aimerais souligner des invraisemblances frappantes qui nous confirment que Fanaa est bel et bien un bollywood traditionnel. En effet, outre la guérison miraculeuse de Zooni, il est amusant de constater que sous le pansement qui lui couvre le visage, la jeune femme est parfaitement maquillée. Elle ne plisse pas non plus les yeux quand on lui ôte le bandage alors qu’elle découvre la lumière pour la première fois. Enfin, pour répondre à une question qu’on m’a posée et pour anticiper sur les réflexions ironiques : je ne saurais dire pourquoi Aamir Khan, ou plutôt le costumier, a opté pour un look digne de Frodon Sacquet dans la première partie du film… Le moins que l’on puisse dire c’est que ce n’est pas particulièrement réussi !