17.2.13

Envie de fleuves

2 commentaires
J'ai toujours aimé les fleuves. En ville, ils apportent une respiration bienvenue, un couloir dans lequel le vent et l'imagination s'engouffrent. Narguant les péniches tristement amarrées, les branches que le courant charrie semblent venues d'on ne sait quelle forêt rêvée. Elle dérivent inexorablement vers l'océan dans lequel le fleuve disparaîtra, se mêlant à l'immensité des flots qu'il contribue à former. L'une d'entre elles verra peut-être son avancée brutalement stoppée par le pilier d'un pont : les débris échoués qui s’accrocheront à elle formeront bientôt un nid, abri offert aux mouettes et autres oiseaux migrateurs, eux aussi ambassadeurs d'ailleurs inconnus.

Mais nos fleuves européens font pâle figure face à la puissance mythique des fleuves indiens : il n'en est pas un qui ne soit divinisé, sous les traits d'une belle femme dont la naissance ou l'arrivée sur terre fait l'objet de multiples légendes. Vénérés pour leur puissance purificatrice, ils jouent un rôle central dans l'hindouisme, qui se superpose à leur importance économique comme voie de transport et réservoir à eau pour l'irrigation. Ce qui n'empêche pas les Indiens de rêver eux aussi tout simplement devant le passage de l'eau.

Voici donc quelques fleuves de cinéma.
En guise d'introduction, celui de Renoir, tellement évocateur dans sa peinture des ghâts qui le bordent et dans sa description des travailleurs du fleuve :


Car on gagne aussi sa vie sur le fleuve, ou on manque de la perdre, comme les deux héros de Paar (La Traversée) de Goutam Ghose, qui luttent pour faire traverser un troupeau de porcs près de Calcutta afin de gagner de quoi rentrer chez eux.

Mais bien souvent les héros de film se contentent de regarder l'eau couler, et parfois lui parlent, comme l'immigrant chinois joué par Kali Banerjee dans Neel Akasher Neechey (Sous le Ciel bleu). Peut-être le fleuve qui coule à Calcutta bien loin de sa terre natale pourra-t-il comprendre sa peine, lui chante-t-il en empruntant  la superbe voix d'Hemant Kumar :


Beaucoup d'eau aussi dans le Monde d'Apu. Le fleuve y est le pendant rural de la voie de chemin de fer qui passe à côté de chez le héros à Calcutta. C'est un cours d'eau paisible, serein, contrastant avec l'agitation de la métropole et le fracas des trains.

Tous ces films se passent au Bengale : cela n'a rien d'étonnant tant cet Etat, qui partage avec le Bengladesh le delta du Gange, est marqué par l'omniprésence de l'eau. Impossible de finir l'évocation de cette région sans mentionner l'étrange Titash Ekti Nadir Naam (Une Rivière nommée Titash), de Ritwik Ghatak, dans lequel l'imagination originale du cinéaste voit un village de pêcheurs détruit par l'assèchement du fleuve et la désertification du Bengale.

Mais le Bengale n'a pas le monopole de la chanson fluviale : nous voici en croisière sur la Godavari dans le film du même nom : le caractère divin du fleuve est souligné, et son cours est une image du destin : "la vie est un bateau sans rame porté par le courant " :



Le fleuve non identifié du bien nommé Safar (Voyage) est aussi une métaphore de la vie, mais le ton se fait ici plus injonctif : "l'eau de cette rivière s'écoule, la lune bouge, ainsi que les étoiles : toi aussi il te faudra te mettre en marche" :


Et comment ne pas évoquer Bénares, ville sacrée sur le non moins sacrée Gange ? Mais dans Le Dieu Eléphant (Joi Baba Felunath) de Satyajit Ray, c'est un poisson assez douteux que le fleuve a charrié : Machhli Baba, le Guru Poisson, un "saint homme" qui prétend être venu à la nage et abuse de la crédulité de ses fidèles.

L'ambiance fluviale est également propice au romantisme (Baabul) :


Y a-t-il enfin meilleur abri pour deux amoureux qu'un bateau au milieu de l'eau ? Le fleuve de studio passe alors au second plan, et sous la lumière de la lune, le couple le plus célèbre du cinéma indien prend l'astre nocturne à témoin de ses sentiments :