29.12.11

Yahudi (1958 - Bimal Roy)

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L'intrigue de Yahudi est inspirée de celle de l'opéra de Jacques Fromental Halévy La Juive, transposée de la Renaissance à


Par "il y a très longtemps", il faut comprendre à une époque où il y avait un empereur et des légionnaires. Difficile d'être plus précis, tant Bimal Roy et son scénariste se soucient peu d'exactitude historique.
Il est donc question d'un joailler juif, Ezra, dont le fils est condamné à mort pour une peccadille par le très cruel et très antisémite gouverneur Brutus. Pour se venger, le serviteur d'Ezra enlève la fille adorée de Brutus, qu'Ezra refuse de tuer et élève comme sa propre enfant, sous le nom d'Hanna, avant de devoir quitter la ville sur une chanson très dramatique interprétée par Mohammed Rafi et superbement mise en images,"Yeh duniya haaye hamari yeh duniya".


Quinze ans plus tard, Ezra, de retour à Rome, est de nouveau un prospère joailler, la ville, toujours gouvernée par Brutus, s'apprête à célébrer avec faste le mariage du prince Marcus (qui a les traits de Dilip Kumar) et de la princesse Octavia, et Hanna est devenue Meena Kumari.
Un jour Hanna secourt un Romain tombé de son char. Le prince, car c'était lui, n'a alors plus qu'un désir : revoir cette jeune femme dont il ignore le nom. Il se fait alors passer pour juif, retrouve la trace d'Hanna, et se fait engager comme apprenti par Ezra. Quelques jolis dialogues romantiques plus tard, voici nos deux tourtereaux prêts à se marier.


Mais Hanna ne va-t-elle pas finir par découvrir la véritable identité de Marcus ? Parviendront-ils à surmonter l'hostilité de leurs deux communautés ? L'ignoble Brutus, que l'on a un peu perdu de vue, ne tentera-t-il pas de faire son boulot de méchant et de briser leur bonheur ?

* * * * *

Il se trouve que j'ai passé une bonne partie de ma vie d'étudiante à étudier l'Antiquité gréco-romaine. Un péplum indien qui se passe à Rome, c'est une curiosité qui ne peut que m'intéresser. Comment donc un cinéaste indien - et pas n'importe lequel, Bimal Roy, connu pour son goût du naturalisme - allait-il s'approprier tout ce folklore du péplum ? Cependant, cet intérêt curieux est vite passé au second plan, tant les aventures d'Ezra, d'Hanna, de Marcus et d'Octavia se sont vite révélées plaisantes à suivre.

Yahudi est l'adaptation d'une pièce écrite en ourdou par Aga Hashr Kashmiri, Yahudi ki Ladki ("la fille du juif"), pièce très influencée, comme on l'a vu, par l'opéra de Halévy. Une adaptation cinématographique de cette pièce avait été déjà été réalisée en 1933 : l'histoire n'était donc sans doute pas aussi étrangère au public indien qu'on aurait pu le croire. Mais Yahudi puise aussi à d'autres sources : l'accident qui mène à la condamnation à mort du fils d'Ezra rappelle très fortement Ben-Hur. Le film de William Wyler étant postérieur, Bimal Roy a du s'inspirer soit du roman, soit du film de 1925. Certaines répliques et situations évoquent également Le Marchant de Venise. Bref, un mélange de nombreuses influences, qui se fondent finalement dans une dénonciation universelle des communautarismes.

L'origine théâtrale du film se révèle dans la mise en scène, dans les dialogues très écrits, mais aussi dans le jeu des acteurs (et ce n'est pas ici un reproche). L'excellent Sohrab Modi, qui interprète Ezra, jouait dans des pièces de théâtre parsies avant de devenir acteur de cinéma. Quant à Dilip Kumar, il n'a jamais l'air aussi à l'aise que quand il déclame de grandes tirades tragiques. Meena Kumari, en revanche, a pendant la plus grande partie du film un rôle plus léger qu'à l'ordinaire, et ce style de jeu lui va bien. Sa rivale, la princesse Octavia, est interprétée par par Nigar Sultana, qui retrouvera un personnage assez proche deux ans plus tard dans Mughal-e-Azam.


Et Bimal Roy dans tout ça ? Il se perd un peu dans un sujet assez éloigné de sa sensibilité. La fin du film, très mélodramatique, est loin de la délicatesse et de l'émotion toujours contenue de, par exemple, Sujata. Disparu aussi (mais comment aurait-il pu en être autrement ?) son souci d'ancrer ses personnages dans un cadre réaliste. Et pourtant, sa patte est bien visible, dans le soin apporté à la composition de l'image, dans les jeux d'ombres et de lumières. Je regrette d'autant plus de n'avoir pas d'images de meilleure qualité pour illustrer cet article. Vous vous ferez une meilleure idées du style visuel du film en regardant les illustrations de cette critique.





24.12.11

Four Women (Naalu Pennungal) - Adoor Gopalakrishnan, 2007

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Quatre femmes, héroïnes de quatre courts métrages dont les titres sonnent comme des étiquettes : « La Prostituée », «La Vierge », « L’Epouse », « La Vieille Fille ». Quatre statuts possibles d’une femme, qui la définissent par son rapport aux hommes, par son statut marital. Car ce qui intéresse ici Adoor Gopalakrishnan, c’est le mariage, et surtout ses dysfonctionnements. La prostituée de l’histoire ne l’est plus depuis qu’elle s’est mariée, mais la société lui refuse le statut d’épouse. L’épouse, quant à elle, n’a d’yeux que pour un autre homme, et n’arrive pas à être mère. La vierge est mariée, mais abandonnée par son époux sans que le mariage ne soit consommé.


Quatre courts-métrages aux styles assez différents. « L’Epouse» se déroule en deux journées, l’histoire de la « Vieille Fille » s’étend sur une dizaine d’années. Si le premier, « La Prostituée », est très théâtral, et aussi hélas très bavard, «La Vieille Fille », dont l’élément central pourrait avoir sa place dans un film plus grand public (le jeune homme choisi pour l’héroïne décide d’épouser plutôt sa sœur), beaucoup plus cinématographique, laisse plus volontiers parler le visage de Nandita Das. Il utilise également habilement les cours d’eau qui parcourent la campagne verdoyante du Kerala pour signifier l’évolution des relations entre les personnages, dont les trajets en canot rythment le film, tantôt en couple, tantôt en famille, tantôt seul, et l’isolement de Nandita dans la demeure de ses parents, qui ne semble reliée au reste du monde que par voie d’eau. A la dénonciation aride, intellectuelle, de la « Prostituée » succède le dégoût très physique provoqué par le mari glouton de la Vierge, qui s'empiffre du début à la fin de l'histoire.

Quatre histoires simples qui sont autant de dénonciations de l’hypocrisie de la société envers les femmes et de leur manque de liberté. Parfois poignante, la critique prend parfois des tours plus comique. Ainsi, les reproches que l'amant de la femme mariée (à un homme plus âgé, qu’elle n’a probablement pas choisi) lui adresse « Avant ton mariage, tu avais peur de tomber enceinte, tu me disais, « attends que je sois mariée », et maintenant que tu as un mari tu refuses encore ? ». Réponse de l’Epouse : « Justement, je suis une femme mariée maintenant, comment pourrais-je tromper mon mari ? ». Rires dans la salle. Et pourtant, le regard plein de regrets de l’héroïne tempère le comique scabreux de la réplique : jamais cette femme, prisonnière des contraintes sociales, n’aura pu satisfaire son désir. Mais si l’Epouse renonce à ses désirs, en revanche les autres femmes prennent leur vie en main, malgré les pressions sociales. Elles arrivent ou non à leurs fins, mais refusent de se laisser abattre par leur destin.


18.12.11

Bilan de 2011

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Et oui, c'est déjà l'heure des bilans et tops en tout genre. Voici donc mon palmarès des films marquants de 2011 :
  • Prix du médecin champion d’art martiaux dont les yeux deviennent violet quand il est en colère : Surya Sivakumar (7aam Arivu), dont les yeux n’avaient pas besoin de ça pour être magiques.
  • Prix de l’Association pour la Promotion des Escargots : attribué à Anaganaga O Dheerudu pour la volonté du chef décorateur, visible tout au long du film, de présenter ce gastropode comme un animal lumineux, léger, utile et décoratif, bien loin son image hélas trop répandue de mollusque lent et baveux.

(Nous apprenons à l'instant que le Comité contre la Diffamation envers les Serpents conteste ce choix, dont la remise est donc pour l’instant suspendue).

  • Trophée Amrish Puri (attribué au méchant le plus improbable) : Sonu Sood en pharaon du 20è siècle bien décidé à conquérir l’Inde à cheval dans Shakthi.
Mention spéciale attribuée à son fils, montagne de muscles à qui on a greffé les yeux de son père (c’est une longue histoire) et qui passe tout le film à défoncer des piliers.
  • Prix du meilleur clip promotionnel à la gloire d’une superstar vieillissante : Buddha Hoga Tera Baap, qui réussit à être néanmoins très divertissant et gagne également le prix du…
  • Meilleur duo père-fils, attribué à Amitabh Bachchan et Sonu Sood, un choix de casting qui s'imposait vu la ressemblance frappante des deux acteurs.
  • Fangirl Award de la meilleure chanson avec Prabhas : Lite Teesko (film : Mr Perfect)


  • Meilleure chorégraphie de présentation du héros : Thaliya Thaliya, Shakthi. Le Rajasthan, des éléphants, ce qu'il faut d'effets spéciaux, Tarak qui danse, et un fantastique vol plané.


  • Prix impatient du film pas encore sorti que je rêve de voir : Agneepath.


  • Prix de l’acteur qui choisit toujours bien ses films, mais dont on aimerait qu’il en accepte davantage : Sanjay Suri.
Mention spéciale à tous les autres acteurs et actrices d’I Am.
  • Meilleure chanson : "Ishq Risk" , Mere Brother Ki Dulhan (musique de Sohail Sen, paroles Irshad Kamil, interprète : Rahat Fateh Ali Khan)
  • Meilleure chorégraphie : "Madhubala" (Mere Brother ki Dulhan) :


  • Séquence musicale qui donne envie d'aller visiter l'Inde : "Kun Fayakun" (Rockstar), tournée dans le dargah de Nizamuddin, à Delhi.


  • Meilleure musique : Delhi Belly, malgré des paroles pas franchement du meilleur goût - heureusement je ne comprends pas assez bien le hindi pour que cet aspect gâche mon écoute. Mais musicalement "DK Bose" ou "Switty Tera Pyaar" sont irrésistibles, et "I Hate You (like I love you)" étrangement addictive.
Il y avait de la compétition : Mere Brother ki Dulhan et Saat Khoon Maaf ne sont pas loin derrière.
  • Meilleure actrice : pas évident, je n'ai pas vu de rôle féminin passionnant cette année. J'attends d'avoir vu The Dirty Picture pour éventuellement attribuer ce prix.
Oui, c'est un peu facile de donner ces trois prix à un même film, mais je ne vois vraiment pas comment faire autrement.