20.3.07

Koyla (1997)

Certains mauvais films possèdent l’étrange pouvoir de susciter une sympathie immédiate.


Il était une fois un vieux roi très méchant et très laid qui cherchait à se marier. Il jeta son dévolu sur une charmante villageoise et, comme celle-ci refusait d'épouser un homme qu'elle n'avait jamais vu, lui envoya un portrait de son fidèle serviteur muet, nettement plus jeune et plus beau que lui. La belle Gauri ne se douta de rien et accepta le mariage, avant de découvrir la supercherie, et de se révolter contre le tyran avec l'aide de Shankar, le serviteur, dont elle était tombée amoureuse.


Le scénario a de faux airs de conte de fée, mais il ne faut pas s'y laisser prendre : Koyla n'a rien du film pour enfants. La violence y est omniprésente, notamment à travers le personnage du frère psychopathe du tyran, dont la principale occupation semble être de taper sur tout ce qui bouge, et de préférence sur Shankar. En outre le film n'est pas loin de sombrer dans le scabreux pendant la première partie. Il suffit de dire que le médecin personnel du roi arrondit ses fins de mois en fabriquant un ersatz de Viagra fort réputé. C'est que Raja Sahab se fait vieux...




C'est néanmoins un film très intéressant, et plus profond qu'il n'y paraît. Au premier degré d'abord, difficile de ne pas compatir aux malheurs de Shankar et de Gauri, surtout qu'ils sont interprétés par Shahrukh Khan et Madhuri Dixit. Celle-ci, plus belle que jamais, est beaucoup plus à l'aise dans les passages graves que lorsqu'il s'agit, au début du film, d'incarner une jeune fille insouciante et fofolle. J'ai apprécié que son personnage n'attende pas que son prince vienne la sauver pour se révolter. Shahrukh, affublé d'une coupe de cheveux de footballeur allemand des années quatre-vingt, n'est pas vraiment à son avantage. Mais l'absence de glamour et le silence de son personnage lui permettent de se consacrer sur l'essentiel, le regard, l'émotion, et de donner la pleine mesure de son talent. Et Amrish Puri interprète un Raja sahab vraiment ignoble. On ne dira jamais combien un méchant réussi peut contribuer au succès d'un film. J'ai en outre beaucoup aimé les séquences d'action, même si, comme souvent, les scènes de combat manquent sacrément de réalisme : les personnages semblent ignorer les lois physiques les plus élémentaires. Comme souvent à Bollywood, les deux principes de base semblent être celui de la boule de billard (les personnages rebondissent d'un obstacle à l'autre) et celui du culbuto (aussitôt tombé, aussitôt relevé). La poursuite dans la jungle, où notre Shankar-Rambo se révèle capable de construire des pièges plus vite que son ombre, est un grand moment.



La musique est n'est pas exceptionnelle tirée du film, mais elle est nettement mieux quand on l'écoute en contexte. Le scénariste fait preuve d'une grande ingéniosité pour réussir à faire chanter Shankar le plus souvent possible, bien qu'il soit muet. J'ai un faible pour Ghunghte Mein Chanda, le morceau le plus rythmé, qui bénéficie d'une chorégraphie joyeuse et dynamique, pour Tanhaye Tanhaye, chanté en duo par nos deux tourtereaux, qui oublient un instant qu'ils sont poursuivis par une armée de méchants, et pour Sanson ki Mala, sur lequel Madhuri danse divinement bien. Mais la musique la plus mémorable est celle qui accompagne tout les moments d'émotion du film. A ce propos, je me permets de rectifier une erreur du générique : le crédit n'en revient pas à Rajesh Roshan mais à Vangelis, puisqu'il s'agit du célèbre "Conquest of Paradise", du film 1492 : Christophe Colomb.




(le morceau de Nusrat Fateh Ali Khan dont est "inspirée" cette chanson peut être écouté ici).

Mais il est difficile de ne voir dans Koyla qu'un masala classique. C'est aussi un film politique, qui illustre les mécanismes de l'oppression et de la révolte : il suffit d'écouter le discours final (très "Travailleurs, travailleuses!") adressé aux ouvriers de la mine exploitée par Raja sahab pour s'en convaincre. Le roi s'est emparé du trône en volant le fruit du travail d'un des mineurs, qu'il s'est empressé d'éliminer, et en se présentant comme le défenseur de la justice. Il se maintient au pouvoir en faisant semblant de défendre les intérêts des travailleurs contre les exactions de son frère. Shankar représente le peuple, privé de voix pendant la tyrannie, et d'abord dupe du jeu du roi, qui lui fait croire qu'il lui a sauvé la vie et qu'il le protège, alors qu'il le maintient dans un état de servitude. Le manichéisme et la violence du film trouvent alors une justification, si l'on admet qu'il sont au service de ce discours.

Voilà c'était ma tentative pour expliquer l'attrait qu'exerce ce film pourtant plein de défauts techniques et sérieusement démodé, attrait dont les autres films de Rakesh Roshan que j'ai pu voir (King Uncle et Karan Arjun) sont dépourvus malgré des ingrédients globalement identiques.


Pour l'anecdote, l'assistant de Rakesh Roshan pour ce film n'est autre que son fils, un certain Hrithik Roshan.