25.5.20

Kaadhal (2004 - Tamoul)

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Kaadhal, en tamoul, c'est l'amour, tout simplement. Il n'a pas besoin de qualificatif tant ce que vivent les deux personnages est un sentiment pur, opposé à une société qui ne le leur pardonne pas.

Attention, il va y avoir des spoilers dans cet article, y compris sur la toute fin du film.

Aishwariya (Sandhya) tombe amoureuse de Muruga (Bharath). Mais Aish est la fille d'un riche mafieux de Madurai, tandis que Muruga est un pauvre mécanicien.

Ce qui frappe d'emblée c'est le parti pris réaliste du film. (Presque) rien n'est tabou, l'image n'est pas particulièrement soignée esthétiquement (il y a de jolis plans quand même, mais ils ont presque l'air accidentel), et montre la vie de tous les jours de Madurai, alternant entre plans très larges sur la ville (et ses très nombreux temples monumentaux, qui évoquent tout de suite une ville plus conservatrice que Chennai  qui sera aussi filmée de la même manière (mais sans temples !) par la suite), et plans très serrés sur les visages des amoureux, très souvent montrés ensemble, dans une proximité touchante.


Autre point qui concourt au réalisme du film, les acteurs sont des débutants, et malgré leur charme indéniable, ont des têtes, si je puis dire, de Monsieur et Madame Tout-le-monde. Ils ont de l’acné, et un physique assez différents des standards du cinéma indien (la couleur de leur peau, notamment, est frappante, tant le cinéma tend à privilégier les peaux très claires, pourtant pas si courantes dans le pays).


 
 Monsieur et Madame Tout-le-monde

Pour Aish, la fille de riche (dont le prénom même évoque la richesse), ce réalisme est aussi une descente brutale dans la réalité du pays. Elle s'enfuit dès le début du film avec Muruga, pour Chennai, où leur problème central sera de trouver des toilettes pour femmes et une douche à peu près propre. Le contraste est frappant dans le traitement de la puberté de la jeune fille (l'actrice avait 16 ans à l'époque). Elle a pour la première fois ses règles au début du film, et cette entrée dans le marché matrimonial est célébré avec faste, selon le rituel tamoul. La jeune femme est isolée dans une hutte, enduite de curcuma, et toute la ville ou presque invitée à célébrer l'occasion lors d'un banquet. Dans la deuxième partie, à Chennai, le traitement est tout autre : Aish a ses règles, peut à peine marcher, et envoie Muruga lui chercher des serviettes hygiéniques (ce que je trouve fort romantique, car Muruga ne craint pas de ne pas paraître virile, et Aish lui fait assez confiance pour lui confier des choses intimes). Les discussions sur son mariage (arrangé) imminent sont elles aussi très crues : personne ne se cache pour parler de dot, Aish est considérée comme un bien à vendre, rien de plus ("En quoi serais-je plus riche si votre fille fait des études ?" demande la future belle-mère).

Le réalisme est parfois un peu trash même, comme lorsqu'on voit le petit garçon qui travaille avec Muruga cracher dans le thé d'un client désagréable. C'était quand, la dernière fois que vous avez vu de la salive dans un film indien ?



Arrivé à Chennai, le couple doit se marier rapidement non par romantisme (même si cela faisait partie de leur plan pour le long terme), mais pour trouver un logement, personne ne voulant leur louer d'appartement. Ce mariage improvisé, auquel se joignent les habitants d'un foyer pour hommeq où vit un ami de Muruga, est un très joli moment, romantique dans sa simplicité et la solidarité de classe qu'il démontre, mis en scène dans une des rares chorégraphies du film. La plupart des chansons en effet sont vraiment bien intégrées au film, et arrivent naturellement. Seule cette chorégraphie et un duo romantique font exception.


Ce sont dans ces instants que le réalisateur ose des plans plus symboliques :


C'est là aussi que se niche l'ultime tabou : la scène de sexe est remplacée, comme d'habitude, par une chanson. Elle intervient juste après que Muruga a vu Aish nue, et est suivie par un plan des deux amants dans leur lit. Le symbolisme fait qu'il est impossible de se tromper sur le sens de cet intermède. Notons que cela a lieu, pour une fois, avant le mariage


hum... ("et je suis tendu comme un arc")

Ce réalisme n’empêche pas une dramatisation discrète mais efficace de l'histoire, portée par la passion des amours adolescentes. La famille d'Aish est visiblement mafieuse, et puissante. Il y a le père, brutal, et l'oncle, plus diplomate, plus mielleux. C'est elle qui fait respecter la coutume, obligeant dès le début du film un couple marié par amour à annuler leur mariage inter-caste (là encore, on tranche avec les topos des films indiens, dans lesquels le mariage est toujours pour la vie). Il va donc être bien compliqué pour les deux héros d'obtenir la bénédiction de la famille de la jeune femme, dont la fuite est qualifié "d'insulte" et d'"humiliation" pour une famille respectée pour son pouvoir et sa richesse, mais aussi pour son respect des coutumes, notamment de caste.

Tout commence donc par la fuite des deux tourtereaux, dont la réunion est retardée par une procession en l'honneur du dieu Muruga.



En effet le héros porte le nom du dieu qui est peut-être le plus vénéré dans les villes tamoules. Double effet : effet de réalisme, le bus est retardé par un des nombreux rituels qui rythme la vie de Madurai. Et effet prémonitoire : même si aucune intervention divine n'est évoquée (elle détonnerait dans le film) l'homonyme divin du héros semble s'opposer à sa fuite, ce qui n'est guère bon signe. Les deux jeunes gens ont peur, Aish doit se déguiser en garçon pour ne pas attirer les regards. Puis vient le flashback, d'abord les souvenirs d'Aish, puis ceux de Muruga. L'amour naissant est montré avec beaucoup de poésie : ne pouvant pas se rencontrer longtemps, le couple se croise à moto et échange de brefs sourires. Pas mal de naïveté aussi, Muruga est si distrait par ses sentiments qu'il manque de boire du pétrole au lieu de son verre d'eau (c'est peu être la séquence la moins réussie du film, car elle semble exagérée). La plupart des chansons (très plaisantes) ne sont pas chorégraphiées. La première partie s'achève sur la fin de ces retours en arrière, qui semblent après coup dépeindre un monde idyllique où l'on vit d'amour et d'eau fraiche. Immédiatement après, la famille se lance à la poursuite du couple, et la vie des héros alterne avec l'enquête pour retrouver les fuyards. Quand il les trouve enfin, l'oncle les convainc de revenir à Madurai, feignant d'avoir eu plus de peur que de colère. S'en suit une conversation dans la voiture qui commence assez classiquement  "tu as fait des études ?" "tu gagnes combien ? " "tu es de quelle caste ?". Et là, à la réponse de Muruga "La caste de l'humanité", tout déraille soudainement, l'oncle dévoilant son vrai visage.

La toute fin du film (violente, naturellement) est elle aussi dramatisée, par une révélation faite au tout début du générique qui oblige à regarder tout le film d'un autre œil : l'histoire est vraie, le réalisateur a rencontré le "vrai" Muruga dans l’hôpital psychiatrique où il vit désormais.

Si l'injustice est flagrante Aish, la petite fille riche, qui a poussé Muruga a s'enfuir avec elle, s'en sort nettement mieux que lui, il y a aussi une note d'espoir en la personne du mari d'Aish, visiblement nettement plus humain que sa famille (effet de génération ?), qui accepte de prendre soin de Muruga devenu fou sous l'effet des coups et du chagrin.

Ce film, qui a été un succès surprise, a ouvert la voie à une vague de films tamouls réalistes, tous plus déprimants les uns que les autres. Kaadhal reste l'un des meilleurs d'entre eux.

23.5.20

Student Of The Year (2012)

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Il y a des films que personne n'oserait qualifier de bons, qui sont totalement régressifs mais absolument jouissifs. Il faut reconnaître que Karan Johar a un don pour ce genre de films. Et comme toujours, on ne sait pas trop ce qui est à prendre au premier degré et ce qui est à prendre avec un peu de distance. Student Of The Year est une sorte de film de campus comme Hollywood en est friand, mais où tout est exagéré, exacerbé. Et l'effet est grandiose.


Sorti en 2012, il possède deux particularités : les acteurs principaux sont tous des débutants (sauf Alia, qui avait eu un petit rôle enfant), et le film est sorti pile au moment où faute de temps je renonçais au cinéma indien. Je n'ai donc pas vu Sidharth Malhotra (Abhimanyu), Varun Dhawan (Rohan) et Alia Bhatt (Shanaya) faire les belles carrières qui ont suivi SOTY.

Tous ces petits nouveaux ont droit à leur entrée en scène de star, hypersexualisée (et assez gay) pour les hommes, bien cliché pour Alia, dépeinte en une chanson en accro à la mode, et un peu plus tard comme "pas trop maligne".

le torse de Rohan, qui se rêve en rock star (c'est ce qu'on voit en premier)
Abhi, très sexe
 et l'entrée en scène de Shanaya, au milieu d'une énumération de marques de luxe

Puisqu'on parle de gays, un mot sur un truc assez révolutionnaire. Un des personnages importants est homo, et il n'est pas totalement une caricature. C'est le doyen de l'Université, joué par Rishi Kapoor, très doué en mode comique. Mais pas d'erreur, si ses tentatives de dragues sont censées faire rire, c'est plus en raison de son statut et de son âge que parce qu'elles s'adressent à un homme (comme le flirt entre Miss Braganza et Mr. Malhotra dans Kuch Kuch Hota Hai). Ce qui n'empêchera sans doute pas certains spectateurs de rire pour de mauvaises raisons, et Karan Johar s’accommode de cette ambigüité. Le comique du personnage ne vient pas uniquement de son orientation sexuelle (heureusement) : la scène où il parle à sa plante est irrésistible. Si le personnage joue finalement un rôle négatif (avec une drôle d'explication : comme il n'arrive pas à se lier à quelqu'un, il s'amuse à briser les relations des autres  — qui peut être vue comme une remarque sur l'homophobie de la société indienne qui l'empêche de mener à bien sa vie amoureuse), il est décrit comme énergique et plein d'autorité. A un personnage qui demande si le doyen ne prendrait pas "la voie de derrière au lieu de l'autoroute", on répond "c'est le doyen, pas un taxi". Ou comment casser une vanne homophobe.


La maladie grave du doyen, donc, réunit dans un hôpital un petit groupe d'anciens élèves, dix ans après des événements qui les ont tous marqués. Les personnages parlent en aparté à la caméra, ce qui permet d'introduire les éléments important de l'histoire :


 "le malaise... après dix ans"

Dans une université de luxe, où les élèves se répartissent entre fils de riches donateurs et boursiers, Rohan, gosse de riche peu intéressé par les études, règne en maître. Il est depuis dix ans avec Shanaya, une des filles les plus populaires, mais ne cesse de flirter avec d'autres. Arrive Abhi, boursier, "villageois", et surtout extrêmement ambitieux. Entre les deux jeunes gens va se nouer une amitié profonde mais menacée par la rivalité. Rivalité pour Shanaya, pour l'admiration du père de Rohan, qui méprise son fils musicien et apprécie l'ambition d'Abhi, et surtout pour le trophée d'Etudiant de l'Année. 

L'arrivée d'Abhi, en chanson bien sûr, est joliment chorégraphiée : le chœur des étudiant.e.s commence par l'admirer en mode "qui est ce bel homme ?" (qui rappelle fortement la chanson "Deewana Hai Dekho", de Kabhi Khushi Kabhi Gham (La Famille indienne), du même réalisateur), mais la chanson se termine en affrontement avec Rohan façon West Side Story. Ce qui résume bien la situation. Pourtant rapidement, les deux hommes se lient d'amitié (par calcul de la part d'Abhi ? La question est posée).

Mais si l'Université Saint Teresa est un monde à elle tout seule, où se reproduisent tous les défauts du monde réel, les étudiants retrouvent un week-end sur deux leurs familles, toutes détestables, ambitieuses et calculatrices, et les plus riches ne sont pas les mieux lotis. La famille, c'est compliqué chez Karan Johar, mais c'est la première fois que je vois les relations familiales dépeintes de façon si négative. Quand on fait remarquer à Rohan qu'il est finalement devenu quelqu'un, il répond : "c'est parce que j'ai quitté mon père". On est très très loin de La Famille Indienne.


Le films tisse trois fils : l'intrigue amoureuse, la vie familiale des personnages, et la rivalité qui menace leur amitié, amitié pourtant vitale pour ces jeunes gens sans appui affectif dans leur famille. Plus le film avance, plus la critique de la compétition qui règne dans l'université (et dans tous les établissements indiens ?) est dure. Elle est cristallisée par la course au trophée de l'Etudiant de l'Année, qui occupe la deuxième partie du film, et dans laquelle les motivations de chacun sont bien différentes, comme on le découvre peu à peu. Si la compétition est rythmée et prenante, elle pose un problème pour le spectateur français : elle contient un jeu de piste dont les énigmes sont difficilement compréhensibles pour un non-indien.

Le gros point fort du film, est de réussir à raconter une histoire fluide en mêlant ces différents éléments. De même, les personnages secondaires ne sont pas que des clichés* ou des faire-valoir, ils jouent aussi un rôle dans les différentes intrigues et les complexifient. Ce n'est pas un film aussi facile qu'il en a l'air.

Shanaya entre ses deux hommes

L'intrigue amoureuse, assez cliché là aussi par moment (Shanaya veut rendre jaloux Rohan en flirtant avec son meilleur ami, qui bien évidemment tombe amoureux), réserve néanmoins de belles surprises. Shanaya, par exemple, qui explose "je ne suis pas un prix à remporter". Ou le sérieusement révolutionnaire "Radha on the dance floor", qui reprend le thème classique de Radha, la favorite du dieu Krishna, jalouse de le voir flirter avec les gopis (de jolies vachères). Mais la musique dance concurrence sérieusement les passage plus classiques. Et surtout, Shanaya dit des choses que je n'avais jamais entendues sur ce thème traditionnel : "Tout le monde tient Radha pour responsable" des infidélités de Krishna, "Radha en veut plus", "Radha aime bouger ce corps d'Indienne". ça secoue.


Pour résumer, c'est un film très Bollywood dans ses excès, mais adapté assez habilement pour un public né autour de l'an 2000. La critique sociale est bien présente, mais n'enlève rien aux moments d'émotions très touchants, que ce soit dans l'histoire d'amour ou d'amitié, et la fin contient son lot de surprises. La musique est assez moyenne, c'est bien dommage. Enfin, je découvre avec plaisir cette plus si nouvelle génération d'acteurs bien prometteuse et charmante (Surtout Siddarth...).



Et toujours, cette petite distance qui n’empêche curieusement pas l'émotion : comment prendre entièrement au sérieux un film dont une chanson s'intitule "l'Amour qui aime" ("Ishq wala Love")** ? 


*on aurait bien aimé, quand même, que l'intello ne soit pas un gros à lunettes, et la meilleure amie de l'héroïne une jeune femme à la peau plus foncée qu'elle. 
** une personne plus douée que moi en langues me suggère que ce titre est peut-être à prendre au 1er degré, voyant "love" comme une amourette et "ishq" comme l'amour passionné. Un truc comme "une amourette de tout cœur" (c'est ma traduction tenant compte de cette interprétation, et j'ai bien conscience qu'elle n'est pas terrible).

22.5.20

Yeh Jawaani Hai Deewani (2013)

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Quand deux jeunes hommes et deux jeunes femmes partent en randonnée en montagne et se retrouvent neuf ans plus tard, on imagine, le cerveau empli de très nombreux films indiens, que deux couples se formeront parmi eux.

Yeh Jawaani Hai Deewani vaut le coup ne serait-ce que parce qu'il détourne ce schéma attendu. Je vais devoir spoiler assez largement la deuxième partie pour en parler, si vous ne l'avez pas vu, il vaut peut-être mieux ne pas lire.

Cette "folle jeunesse" (c'est le titre du film) est celle de Kabir (Ranbir Kapoor), Avi (Aditya Roy Kapur) et Aditi (Kalki Koechlin), trois amis qui partent en voyage à Manali, dans l’Himalaya. Ils sont rejoints à la dernière minutes par Naina (Deepika Padukone), beaucoup plus sage, mais lassée de sa vie monotone et studieuse d'étudiante en médecine. Juste après leurs vacances, Kabir part étudier le journalisme à l'étranger, malgré l'émergence de sentiments entre Naina et lui.
Quand il revient neuf ans plus tard, pour le mariage de l'une d'entre eux, beaucoup de choses ont changé.



Aditi nous est montrée comme amoureuse d'Avi. On s'imagine donc que neuf ans plus tard, c'est lui l'heureux élu. Et bien non ! Avi est plus que maussade au mariage, on s'imagine qu'il est jaloux du futur mari. Et bien non ! Et déjà, qui aurait imaginé qu'Aditi serait la première à se marier ?

En effet, Aditi, jouée par l'actrice blanche (mais indienne) Kalki Koechlin, semble cumuler tous les clichés associées aux occidentales. Elle est un peu hippie, pas très respectueuse de ses aînées, court vêtue, la seule à partir en rando avec un maquillage visible. Et il est fait allusion plusieurs fois à sa possible bisexualité. Bref, pas vraiment la fille indienne traditionnelle. La mère de Naina dit d'elle "A force de profiter de la vie, elle va finir enceinte et malheureuse". Évidemment, elle fume et boit. Petit accroc au cliché quand même, ce n'est pas elle, mais une Indienne, Lara, la tombeuse d'homme du groupe : Aditi en effet est secrètement amoureuse d'Avi. Et à la surprise générale de la spectatrice (moi), elle est la première à se marier, un mariage arrangé qui plus est,  un mois après avoir rencontré son prétendant.

avant 
 
après

Naina, l'intello de service (elle a des lunettes), prend ses études très au sérieux et ne rejoint qu'à la dernière minute ses amis. Religieuse, réservée, elle n'est pas tellement à sa place parmi cette bande de grands adolescents. D'ailleurs, c'est la seule qui fait la cuisine, quand les autres mangent des sandwichs au jambon. Dans la logique "maman ou putain" dont le film ne s'affranchit pas totalement (malgré de notables efforts), elle est clairement le premier terme. Quand ils jouent à "qui n'a jamais", elle réalise qu'elle n'a jamais rien fait de transgressif. Et pourtant, elle ne manque ni de courage ni de détermination.
Son départ en randonné marque le début de sa libération, de ses parents étouffants, et de ses propres exigences. De façon amusante, on la voit rejoindre Kabir à bord du train en marche non à la fin du film, quand l'héroïne enfin libre rejoint d'habitude son bien-aimé, mais avant leur départ en vacances.

Attends-moi !

Naturellement, l'intello va tomber ses lunettes et apprendre à vivre plus libre, mais sans renoncer à ses priorités : la famille, la beauté d'une vie calme, la médecine. D'ailleurs, elle remet ses lunettes quand elle seule (ce qui est beaucoup plus réaliste que la transformation de l'héroïne de Kal Ho Na Ho (New-York Masala), elle aussi nommée Naina, qui lorsqu'elle se décoince un peu voit sa myopie disparaître soudainement). Quand elle se débride un peu, ce n'est pas avec de l'alcool, mais avec le plus traditionnel et acceptable bhang (cannabis comestible)*. Et, surprise, quand Kabir part, huit ans, elle ne l'attend pas et le dit.
 
 avant
 après, pour la première fois filmée comme une star de cinéma, avec brushing et décolleté, et allure à tomber.

Kabir est le contraire de Naina. Mais comme ils le disent tous les deux, aucun des deux n'a tort, ils sont juste très différents. Pas de jugement moral ici, c'est rafraichissant.

 Kabir est différent

Passionné de voyages, il ne tient pas en place, ne semble pas spécialement attaché à l'Inde (il ne pourra même pas revenir pour l'enterrement de son père - et c'est là que l'on voit qu'il est l'opposé de Naina : elle voit naître des enfants, lui n'est pas là à la mort de son père pour accomplir les rites funéraires). Mais à leurs retrouvailles leurs sentiments n'ont pas faibli, et il va devoir choisir entre sa vie de globe-trotter et Naina. Un simple "I love you" ne suffira pas. Il va aussi lui falloir se réconcilier post-mortem avec son père.

Une pause dans la description des personnages pour revenir sur la vision des blancs dans ce film. Outre Aditi, on croise des touristes allemands, dont tout ce que l'on sait est qu'ils organisent une fête, une blonde peu farouche à Paris (gros cliché, elle) et les journalistes occidentaux pour qui Kabir travaille au début comme stagiaire. Ceux-ci viennent filmer pour un reportage à sensation la misère des maisons-closes indiennes, à l'inverse de la tradition de la "courtisane", éduquée et admirée. Juste après, la voici d'ailleurs qui paraît, en la personne de Madhuri Dixit qui récite de la poésie et se lance dans une danse (en reprenant le nom du personnage qui l'a rendue célèbre dans Tezaab). Regard européen contre regard indien.


De manière amusante, quand Kabir devient vraiment photographe, c'est à son tour de photographier la contre-culture occidentale, entre petits deals et graffitis. Un donné pour un rendu.

Retour aux personnages, et à Avi, le plus énigmatique. On sait peu de choses de lui dans la première partie. Dans la deuxième partie, on le voit très alcoolisé et visiblement de mauvaise humeur au mariage d'Aditi, dont on suppose donc qu'il doit être aussi amoureux. Et l'on s'attend avoir les deux tourtereaux se réunir à la fin du film. Mais non. Avi est jaloux, et furieux, mais contre Kabir, qui les a abandonnés pour vivre son rêve, sans donner de nouvelles, alors que lui, Avi, voit ses projets professionnels échouer. Cette amitié profonde qui se développe dans la deuxième moitié est un des aspects les plus touchants du film.



Un mot sur mon avis quand même ! J'ai beaucoup aimé ce film plus complexe qu'il n'y paraît. Le scénario est plein de surprises. Les acteurs sont très bons (y compris Ranbir, que je n'aime pourtant pas beaucoup - et il sait danser !).



La belle photographie met bien en valeur les paysages de montagnes puis la ville d'Udaipur. La musique, sans être exceptionnelle, est entrainante. Et on a même deux guest stars : le regretté Farooq Sheikh, mort l'année du film, et grosse surprise, la star télugu Rana.




Et juste pour le plaisir, deux des plus beaux sourires de Bollywood :















*note de fondue de langues (lecture très facultative). La chanson de Holi où Naina s'éclate la désigne par le mot "balam", un des nombreux termes affectueux pour désigner la bien-aimée. C'est amusant car ce mot, autrefois courant dans les chansons d'amour, en avait presque disparu (cf Talking Songs: Javed Akhtar in Conversation With Nasreen Munni Kabir). Une façon de souligner le caractère plus traditionnel de Naina ? Ou peut-être est-ce que j'extrapole complétement.


17.5.20

Roja, 1992 (Tamoul)

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Roja est le premier volet de la "trilogie du terrorisme" de Mani Ratnam, suivi par Bombay (1995) puis Dil se (1998). C'est aussi le film qui a fait de Mani Ratnam un des rares réalisateurs du Sud à connaître le succès au Nord de l'Inde sans même (pour l'instant) tourner en hindi. De fait, le film est bien connu dans toute l'Inde comme un film sur la guerre au Cachemire, bien que ce sujet ne soit traité (quasiment) que dans la deuxième partie du film, après l’entracte. En fait, le montage du film, plutôt original pour l'époque dans le cinéma commercial, présente en premier un court passage de course-poursuite et de capture d'un militant au Cachemire, avant de partir sans transition (si ce n'est que l'aube se lève sur le Tamil Nadu à la suite de l'action nocturne au Cachemire) et pour la moitié du film dans le Tamil Nadu rural. On ne retourne au Cachemire qu'après l'entracte.*

Sans transition

Donc, après un générique qui mêle chants d'oiseaux et bruits de mitraillettes, après la capture d'un terroriste au Cachemire, au bout de cinq minutes de film, on passe à de tout autres personnages : les villageois d'une petite localité du Tamil Nadu, où un mariage se prépare. Mariage qui ne se passera pas comme prévu, puisqu'au lieu d'épouser sa promise, Rishi (Arvind Swamy) repartira avec sa sœur Roja (Madubala), à la demande de sa fiancée qui souhaite épouser un autre homme et mettre ainsi fin à une querelle entre deux branches de sa famille (l'endogamie n'est pas rare au Tamil Nadu). Il ne prend cependant pas la peine de demander à Roja son avis. Il faudra un demi-film pour que le mariage formel se transforme en union sentimentale entre Rishi et Roja. Puis Rishi, qui est cryptologue pour l'armée, est envoyé au Cachemire, accompagné, en dépit de la vraisemblance, par sa jeune épouse, et est pris en otage par des indépendantistes qui réclament la libération de leur leader.

Pour reprendre la formule de M. Madhava Prasad*, l'introduction est donc un fragment de la deuxième partie, politique, qui entoure ainsi un drame familial classique, dans un milieu rural traditionnel. Cette histoire de mariage, qui atteint sa résolution à l'entracte, est donc ainsi subordonnée au récit militaro-politique plus large (d'ailleurs, quand on pense Roja, on pense Cachemire). Cela permet d'éviter un changement d'histoire trop brusque à l'entracte, tout en créant une anticipation et une menace dès le début du film par des images encore mystérieuses. Et les parallélismes sont nombreux entre les deux histoires pour préserver l'unité du film. Roja, par exemple, piège Rishi lors de sa première rencontre à l'aide d'un troupeau de moutons, ce qui annonce sa capture par les indépendantistes. 

 Roja piège (innocemment) Rishi
 
Dans les deux cas, on aboutit à une réconciliation (entre deux branches de la famille / très superficiellement entre les indépendantistes et l'Etat central), mais au prix d'un affaiblissement de l'autorité (la coutume villageoise qui n'a pas su imposer le mariage qu'elle souhaitait, l'Etat prêt à relâcher un terroriste). Surtout ce prologue empêche d'entrer à 100% dans le film "traditionnel", celui de l'histoire de mariage, puisque l'on sait que ce ne sera qu'une partie d'un film plus large. Ce type de film classique se trouve donc en quelque sorte disqualifié au profit d'un genre plus moderne. C'est une des thèses de M. Madhava Prasad, et elle est renforcée par le fait que cette première partie se termine d'une façon un peu bâclée, sans prise en compte de la psychologie de Roja ni de Rishi.

La première partie du film, donc. Elle emprunte très largement au drame familial traditionnel, avec conflits entre branches de la famille, mariage contrarié ou non souhaité. Elle reprend l'idée classique dans le cinéma indien d'une fonction performative du mariage : une fois tombés les malentendus, Roja est amoureuse de son époux, pour qui elle n'éprouvait pas grand chose, par le simple fait que c'est son époux. Et elle ira jusqu'à négocier avec un ministre pour lui. Le cadre : un village très traditionnel, les personnages : un homme des villes qui "ressemble à une star" et "parle anglais" qui cherche une épouse campagnarde (peu importe au fond laquelle), et Roja, qui nous est présentée dès le début comme encore habité de désirs enfantins, mais aussi d'une grande volonté. Elle est immédiatement liée à la nature, par la chanson qui lui sert de présentation, "Chinna chinna asai" ("de tout petits désirs"), à la nature cultivée du Tamil Nadu qui viendra servir de contrepoint à la forêt du Cachemire.

Les désirs de Roja "j'aimerais m'habiller d'arc-en-ciel"

Ce village semble dominé par les femmes, surtout vieilles, toujours en groupe, garantes de la tradition et chœur comique du drame, comme dans la chanson de mariage "Rukkumani Rukkumani", aux paroles tamoules très explicites. C'est quelque chose qui m'a marquée, les premières fois que j'ai vu des films tamouls, cette liberté des paroles des chansons dans des œuvres autrement très prudes.

 
"Les bruits joyeux du lit qui craque sporadiquement"


 

Une fois "résolu" ce premier nœud dramatique, Roja, soudain très amoureuse, suit son mari dans une région en guerre, le Cachemire. Et Rishi est très vite capturé par des indépendantistes, laissant Roja seule en territoire inconnu, elle qui n'était jamais sortie de sa campagne. Elle ne comprend pas le hindi**, ne connaît pas les dieux locaux, et doit plaider sa cause auprès d'interlocuteurs qu'elle n'a pas l'habitude de côtoyer, confirmant ainsi la force de caractère des personnages féminins. Dans un de ces moments symboliques forts qu'affectionne Mani Ratnam, le claquement de la noix de coco qu'elle casse pour le dieu est pris pour un tir de fusil.
Emprisonné, Rishi, lui, revoit Roja en songe dans une chanson où tous les éléments de la nature lui rappellent son épouse décidément très liée à la ruralité.


Des trois films sur les tensions inter-communautaires, celui-ci est de loin de plus manichéen, malgré la présence d'un terroriste repenti et la mention d'une solidarité féminine qui transcende les religions. Et ce n'est pas toujours très subtil, comme le montre la succession des deux plans suivants...

L'explosion - la prière musulmane

Rishi, qui n'a pas particulièrement l'air d'être un nationaliste forcené, n'hésite pas à affirmer "le Cachemire c'est l'Inde, pourquoi aurais-je peur en Inde ?", "L'Inde ne sera pas divisée", et le Pakistan est présenté comme un allié peu fiable des indépendantistes. C'est amusant d'ailleurs comme les dialogues évitent de le nommer, parlant plutôt de "nation étrangère" ou "d'une nation voisine". On a vu qu'il y avait une partie centrée sur les relations interpersonnelles, et l'autre sur la politique et l’État. Roja, qui appartient à la première dimension (elle déclare ainsi "Je me fiche de la nation, je m'inquiète pour mon mari") demande innocemment "S'ils détestent l'Inde, pourquoi ne la quittent-ils pas ?" sans voir que c'est justement ce qu'il entendent faire, mais collectivement, par l'indépendance du Cachemire.


C'est le moment de dire deux mots de la chanson finale, qui, par sa place, a une importance particulière. En VO, elle incite l'auditeur à se dire fier d'être tamoul et indien. L'adaptation hindie gomme toute "tamoulité" au profit d'une louange sans nuance de la mère patrie, ce pays de roses plus cher que la vie... Etait-ce le prix du succès du film au Nord de l'Inde ?



* pour une analyse plus approfondie de la construction du récit dans Roja, voir "Signs of Ideological Re-form in Two Recent Films : Towards Real Subsumption ?" M. Madhava Prasad, in Making Meaning in Indian Cinema, sous la direction de Ravi S. Vasudevan, Oxford University Press, New Delhi, 2000. Nous en reprenons quelques idées sur le montage global du film, mais nous n'irons pas cependant jusqu'à voir avec l'auteur dans la structure du film le signe de la victoire du libéralisme économique.

** apparemment personne ne parle Kashmiri dans le Cachemire de Mani Ratnam, même les indépendantistes parlent la langue nationale

10.5.20

Baahubali : The Conclusion (2017 - télougou)

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Comme son nom l'indique Baahubali : The Conclusion est la suite d'un premier volet intitulé avec beaucoup d'imagination Baahubali : The Beginning, du même réalisateur S. S. Rajamouli, et avec plus ou moins les mêmes acteurs (en fait seule l'héroïne change : Tamannaah apparaît à peine, alors qu'Anushka a un rôle beaucoup plus développé que dans le premier film).


Je vais revenir rapidement sur l'histoire pour vous permettre de voir La Conclusion même si vous n'avez pas vu le premier film. Mais je vous recommande avant tout de regarder la première minute de la vidéo ci-dessous, qui se situe au tout début du film :


Si vous trouvez cela grotesque, ce n'est peut-être pas la peine d'en regarder plus (sauf pour vous marrer dans une soirée entre potes). Si vous trouvez cela grandiose, sachez que ce n'est qu'un aperçu de ce qui vous attend dans cette saga des plus épiques.

L'histoire donc.
Dans The Beginning, un enfant trouvé joué par Prabhas et nommé Shivudu (en télugu) / Shiva (en hindi), va soutenir par amour un groupe de rebelles qui affronte le roi tyrannique de Mahishmati, Bhalla (joué par Rana). Au milieu du film, on apprend que Shiva est Mahendra Baahubali, roi légitime de Mahishmati, et que Bhalla, son oncle, est un usurpateur qui détient prisonnière sa mère, (que Shiva s'empresse de libérer). Un flashback nous montre les jeunesses parallèles de Bhalla et du père de Shiva, Amarendra Baahubali (joué par le même acteur, Prabhas), et l'épreuve imposée par la reine-mère Sivagami (Ramya Krishnan) pour déterminer qui doit régner, épreuve remportée par Baahubali. Le film se termine sur un cliffhanger : le fidèle et loyal soldat Kattappa avoue avoir tué Baahubali père. Pourquoi ? Comment ? Le deuxième film y répond au cours d'un long flashback sur la vie d'Amarendra Baahubali, avant de finir par la conquête de la capitale par son fils dans des scènes d'action ahurissantes.

Bhalla est méchant

Tout commence quand la reine mère envoie Baahubali, accompagné de Kattappa, le fidèle guerrier, faire le tour de son royaume. Il rencontre la princesse Devasena, plus habile que beaucoup d'hommes avec une épée ou un arc (mais moins que Baahubali quand même, faut pas abuser). Cachant son identité, il se fait passer pour un benêt incapable de manier une arme, ce qui est apparemment la meilleure solution pour séduire Devasena. Mais la princesse a des doutes, et lors d'une attaque de bandits (dès que l'action faiblit un peu, une opportune attaque de bandits la relance) il protège la cité de la princesse, révélant son origine royale. Par malchance, son très méchant cousin Bhalla découvre son amour pour Devasena et décide de demander à la reine-mère sa main, en partie par concupiscence, en partie pour contrarier Baahubali. Je ne vais pas raconter tous les rebondissements, mais aux 3/4 du film environ, quand on a compris pourquoi Kattappa a tué Baahubali, on revient au temps présent, et Shiva / Mahendra Baahubali lance dans une séquence particulièrement grandiose une attaque contre Bhaala.
 
Devasena dans une baston à la télugu

 Si vous n'en avez pas vu les extraits sur youtube, je ne veux pas gâcher la surprise. Sachez juste que la stratégie de Shiva ne tombe pas du ciel (si l'on peut dire), mais avait été en quelque sorte annoncée dans un épisode du flashback. Le gros point fort, outre la sexitude des principaux acteurs et actrices, ce sont ces scènes d'action, toujours plus grandes que nature, et toujours imaginatives. Comme dans le premier film, mais encore plus nombreuses et plus épiques. Et mieux que cela encore, elles sont intelligentes et servent à révéler les caractères des personnages. Ainsi, Kattappa et Baahubali se passent-ils leur armes avec une grande fluidité lors des scènes de combats, montrant la symbiose entre les deux personnages.
Visuellement, même si l'on voit bien que beaucoup d'images ont été générées par ordinateur, c'est très bien fait, et les décors évoquent par moment un Seigneur des Anneaux indien (Les statues gigantesques qui surplombent le fleuve à l'entrée du royaume...)

Amarendra Baahubali mène l'attaque

Parfois même, on dirait le Seigneur des Anneaux, mais en plus énorme, comme lorsque Baahubali découvre un cadavre dans une étendue d'eau, qui évoque fortement les Marais Morts.
 

Mais dès que le plan s'élargit, c'est pour révéler un massacre bien plus important que celui qui n'est que suggéré dans le film de Peter Jackson.

Baahubali père, Kattappa et plein de morts

Les chorégraphies ne sont pas en reste. Bien qu'elles soient peu nombreuses, elle proposent quelques visions marquantes, notamment un bateau en forme d'oiseau volant au milieu de chevaux de nuages. Dommage simplement que les versions en  hindi des chansons soit moins bien que les originales telugu. Et que globalement la musique soit un poil moins bonne que celle du premier film.


Le revers de la médaille de toute cette magnificence, c'est que rien n'est très subtil. Quand le peuple applaudit Baahubali, la terre tremble en rythme, et menace de faire tomber le parasol, symbole de royauté, qui protège Bhalla. Les acteurs ont tous un jeu très expressif, et certains procédés sont un peu théâtraux (ainsi les courtisans s'essuient le front de soulagement quand un désastre est évité). Mais ce n'est pas grave, cela fait partie du style de l'épopée porté à son paroxysme.

un jeu d'acteur tout en finesse 

L'autre point très plaisant, c'est le rôle de premier plan des personnages féminins. Le premier volet avait tenté d'aller dans ce sens sans y parvenir totalement. Ici nous avons la joie d'entendre la reine-mère proclamer : "Ainsi ai-je parlé. Et ma parole est loi". Et les relations amoureuses sont présentées d'une façon assez différente de l'ordinaire. Déjà, c'est Baahubali qui tombe amoureux de Devasena en la voyant combattre, et non l'inverse. Et par moments on touche presque à l'amour courtois de la littérature médiévale européenne.

Baahubali évite à Devasena d'avoir à se mouiller les pieds, quitte à adopter une position peu honorable


Devasena, désormais reine mère, traverse un cour d'eau sur la tête de Bhalla tombée de la gigantesque statue en or à son effigie

On peut voir le deuxième volume, le meilleur, sans avoir vu le premier. On manquera quelques liens entre les deux films, tels le destin de la statue monumentale de Bhalla (dont j'ai trouvé la fin très poétique), ou encore deux libations offertes à Shiva (l'une d'eau, l'autre de sang) mises en parallèle. Mais le premier film est résumé lors du générique de début, vous pouvez donc vous lancer !
 
"Ma parole est loi"


Il y a quatre ou cinq versions disponibles sur Netflix, mais aucune en VO. Je vous invite à éviter la version raccourcie de 2h17 pour préférer le film dans sa durée originale d'environ 2h45. Personnellement j'ai choisie la version hindi, et elle est OK. Comme le registre de langue est très élevé j'ai quand même un peu pouffé à la énième utilisation de पुत्र (putr) à la place de बेटा (beTa) (les deux veulent dire fils, mais le premier a incontestablement une noblesse et une grandeur que n'apporte pas le plus commun beTa ; seulement je ne l'avais jamais autant entendu dans un film). Les sous-titres français sont compréhensibles, mais manquent d'élégance et d’exactitude car ils sont de toute évidence traduits à partir des sous-titres anglais. Une constante sur Netflix.

8.5.20

Om Puri (1950-2017)

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Om Puri (à gauche) avec Naseeruddin Shah 
 
Cet article est une mise à jour d'une biographie écrit en 2011 pour Fantastikindia

Om naît au Pendjab de parents pauvres et peu éduqués. Il passe ses journées à les aider en lavant les tasses des clients du dhaba dans lequel ils travaillent. Il ne commence l’école qu’à huit ans, grâce à l’aide financière d’un membre de sa famille. Plus tard il financera ses études en donnant des cours particuliers. A cet âge, il a déjà le visage grêlé qu’on lui connaît, séquelle d’une varicelle. Bien décidé à devenir acteur, Om suit les cours de la National School of Drama de Delhi et du Film and Television Institute of India de Poona. 


Lorsqu’Om Puri finit ses études, nait en Inde un courant qu’on a parfois appelé New Cinema, qui regroupait réalisateurs, scénaristes et acteurs désireux de proposer une alternative au cinéma commerciaux qui s’était imposé dans les années 1970. C’est au sein de ce courant qu’Om fait ses débuts. Il y côtoie Shabana Azmi, Naseeruddin Shah, et surtout Smita Patil qui a fréquemment joué sa femme ou son amie. On peut remarquer que si tous ont joué des personnages luttant contre la misère, Om est le seul à ne pas venir d'une famille aisée.


Les réalisateurs de ce nouveau cinéma s’opposent au cinéma commercial qu’ils jugent très sévèrement, et souhaitent (en théorie du moins) offrir à leurs acteurs des rôles non stéréotypés qui exigent un véritable travail d’acteur. Le corollaire de ce souhait est qu’ils choisissent leurs acteurs plus en fonction de leur talent, et moins selon leur popularité, leur beauté ou leur famille. L’idéal pour Om, alors inconnu, et qui ne dispose ni d’un physique d’Apollon, ni d’une famille bien implantée dans le milieu du cinéma.  Il va travailler avec tous les grands noms de ce courant, et très vite se spécialise dans les rôles d’opprimés : intouchables, Adivasis (membres de tribus aborigènes), habitants d’une bidonville (Dharavi), paysans sans terre (Arohan, de Benegal)…  Beaucoup des films de cette époque ont en effet un thème social, et cherchent à faire entendre la voix de populations souvent réduites au silence.
Parmi ses rôles les plus marquants, celui de Lahanya Bhiku dans Aakrosh  (1980), de Govind Nihalani, un Adivasi accusé du meurtre de sa femme qui ne dit pas le moindre mot pour sa défense, malgré les efforts de son avocat plein de bonne volonté.  Un rôle quasiment muet pour Om, qui exprime par son seul regard l’impuissance, le désespoir et la colère de son personnage.


C’est après avoir vu Aakrosh que Satyajit Ray propose à Om le rôle principal dans Sadgati, un moyen métrage en hindi qu’il réalise pour la télévision et qui constitue une féroce dénonciation de l’intouchabilité. Dukhi, un intouchable  accomplit pour un brahmane une série de tâches qui finissent par le tuer. Om raconte combien il était intimidé de travailler avec un si grand réalisateur. Le premier jour du tournage, le célèbre réalisateur lui demande d’entrer « précautionneusement » dans la maison du brahmane. De plus en plus nerveux, Om lui avoue qu’il ne connait pas le sens de ce mot. Le réalisateur lui explique « lorsqu’un chien ou une chèvre entre dans une maison qu’il ne connaît pas, il y entre « précautionneusement ». C’est cette chèvre apeuré qui a inspiré le langage corporel de Dukhi le tanneur. 





Om a tourné avec tous les réalisateurs marquant de ce mouvement : Shyam Benegal, Gautham Gose (Paar) , Mrinal Sen (Genesis),  Ketan Mehta, la réalisatrice Sai Parajpye (Sparsh), et surtout Govind Nihalani, qu’Om considérait comme son ami et son mentor et qui lui a offert quelques uns de ses rôles les plus intéressants. Outre dans Aakrosh, Om apparaît aussi brièvement dans Party, un huit-clos assez théâtral sur le thème de l’engagement politique, dans le rôle d’un militant de la cause adivasie. Mais le rôle le plus important est celui d’Anant, le héros d’Ardh Satya, un policier consciencieux, haïssant la corruption, mais fragile et violent. Un personnage de policier très original, car la violence est ici présentée comme la preuve de la fragilité psychologique de son personnage, à l’opposé de la glorification de la brutalité policière si fréquente dans les films de cette époque (voir les rôles de Sunny Deol).  Il a aussi le premier rôle dans le feuilleton TV très controversé que Nihalani a réalisé sur la Partition, Tamas (1987).

A l’extrême opposé des rôles dramatiques qui l’on fait connaître, se trouve celui qu’il interprète dans l'hilarante comédie satirique Jaane Bhi Do Yaaro de Kundan Shah. Ahuja est un promoteur immobilier nouveau riche, rustre, violent, corrompu, et tellement alcoolisé qu’il peut parler cinq minutes à un cadavre sans même réaliser que son interlocuteur est mort. Om interprète avec entrain ce personnage comique, et se plie volontiers au jeu du slapstick et des gags visuels. Cheveux plaqués, vêtement criards et sourire charmeur, il continue dans la veine comique la même année dans Mandi de Benegal, en photographe de charme prêt à tout pour approcher les prostituées qui lui servent de modèles. On a néanmoins le droit de le préférer dans un registre plus réaliste.

Il épouse en 1990 Seema Kapoor, mais leur mariage ne dure que huit mois, et leur séparation se passe très mal. Om rencontre celle qui sera sa seconde épouse, Nandita Puri, et demande le divorce en accusant Seema d’adultère, ce qu’il reconnaît plus tard avoir été une accusation mensongère...

Sa première apparition dans un film étranger remonte  à 1982 : il joue un hindou qui se repent d’avoir participé aux violences contre les musulmans de Calcutta et vient supplier Gandhi de mettre fin à son jeûne dans le film de Richard Attenborough. 



Mais c’est la Cité de la Joie (1992) qui le fait connaître du public occidental. Sur les affiches, la star du film est Patrick Swayze ; mais ceux qui ont vu le film savent qu’Om lui vole la vedette ! Une anecdote qu’il raconte au sujet de son rôle de tireur de rickshaw en dit long à la fois sur sa façon de travailler et sur son statut un peu à part dans le cinéma indien. Om a commencé à se préparer pour ce rôle bien avant le début du film. Il est allé à Calcutta et a appris à tirer un rickshaw avec des rickshaw-walas professionnels. Rapidement, il s’est aperçu qu’aucun d’entre eux ne portait de chaussures. Il renonce aux siennes, non sans mal. Un jour, alors qu’il s’était arrêté pour boire un thé, il remarque que deux clients l’observent. Le premier dit à son ami : « Tu ne trouves pas qu’on dirait Om Puri ? », l’autre approuve.  Om finit son thé, puis va confirmer aux deux clients incrédules qu’il est bien Om Puri, avant de récupérer son rickshaw. En partant, il les entend dire derrière lui : « Pauvre homme. Quelle tristesse de le voir ainsi. C’était un si bon acteur. Et aujourd’hui il tire un rickshaw, tu imagines ? »  Om, un acteur qui prépare soigneusement ses rôles, dont le talent est reconnu, mais dont la situation paraît encore assez instable, plus d’un demi-siècle après le début de sa carrière, pour que ces deux hommes aient pu croire qu’il était tombé dans la misère.


Cinq ans plus tard, il inaugure une série de rôle d’immigrés pakistanais en Angleterre avec My Son The Fanatic d’Udayan Prasad. Il est Parvez, père de famille on ne peut plus intégré qui doit faire face au fondamentalisme de son fils. Son interprétation toute en finesse, notamment lorsque Parvez est face à Bettina, la prostituée qui est sa seule amie, est vraiment le point fort du film. Le revoilà en père de famille dans East is East (1999, le titre « français » est Fish and Chips), qui traite aussi de la problématique de l’intégration et du conflit entre générations, mais cette fois l’action est située dans les années quatre-vingt et c’est à l’occidentalisation et au désir d’émancipation de ses enfants que son personnage s’oppose. Le film a eu une suite sortie en 2010, West is West. On l’aperçoit aussi en imam intégriste dans Shoot on Sight, un film sans grand intérêt sur la psychose qui a suivi les attentats de 2005 à Londres. L’étudiant qui n’osait pas parler anglais devant ses camarades de la National School of Drama de peur qu’ils se moquent de son accent est aujourd’hui un des acteurs indiens qui ont le plus tournés dans des films étrangers.


Parmi ses autres rôles notables, celui de Ghulam Mohammed, dans l’adaptation d’Un si long voyage de Rohinton Mistry. Un personnage mystérieux, tantôt chauffeur de taxi serviable, tantôt dangereux agent spécial.  Om a aussi interprété le général Zia, qui dirigea le Pakistan dans les années qutre-vingt dans Charlie Wilson’s War, avec Tom Hanks.


Coté vie privé, il se sépare de Nandita, qui l'accuse de violence, en 2013. Grand acteur, mais décidemment pas toujours un homme très sympathique.

Et le cinéma indien pendant ce temps ? Eh bien le déclin du New Cinema  au début des années 1990 diminue les opportunités pour un acteur au physique aussi peu commun. Et voici qu’Om Puri, comme tant d’autres acteurs aux parcours similaires, se met à accumuler les seconds rôles de pères ou d’oncles, que ce soit dans un registre plutôt sérieux, comme dans Rang de Basanti (le père d’Aslam), ou dans des comédies (Singh is King). D’autres rôles (la plupart ?) sont franchement négatifs, tel l’inspecteur qu’il joue dans Dabangg.  Il apparaît aussi dans Hey Ram, réalisant ainsi son rêve de jouer avec l’acteur qu’il admire le plus, Kamal Hassan.  Il y a heureusement des exceptions comme China Gate de  Rajkumar Santoshi , dans lequel il a le premier rôle, celui du leader de cette bande de militaires retraités venus éliminer le bandit qui terrorise un village. Mais il faut dire que China Gate, s’il réunit un ensemble d’excellents acteurs (Amrish Puri, Naseeruddin Shah, Danny Denzongpa, Kulbhushan Kharbanda), n’a pas de star au sens propre. Son dernier rôle notable est celui d'un mollah pakistanais dans le beau Bajrangi Bhaijaan, avec Salmant Khan. Il meurt d'une crise cardiaque en 2017.


On pense souvent, à tort, qu’Om Puri est de la famille d’Amrish Puri. Comme cet autre grand acteur à l’apparence peu commune, Om aurait pu se retrouver cantonné à un seul type de rôles, de plus en plus stéréotypés. Il s’est heureusement trouvé des réalisateurs, au premier rang desquels Govind Nihalani, pour explorer toutes les facettes de son talent. Om, de son côté, a saisi toute les occasions de diversifier ses rôles, en jouant beaucoup en anglais et natuellement en hindi, mais aussi, régulièrement, dans sa langue maternelle, le punjabi. S’il n’a jamais eu de rôle typique de héros de films commerciaux, il a en revanche réussi à s’imposer comme un acteur incontournable du cinéma d’auteur, avant de devenir un second rôle apprécié de films grand public.

Livre de référence : Nadita Puri ,Unlikely Hero: The Story Of Om Puri, 2009. Il faut noter que cette biographie, écrite par son ex-épouse, n'a pas été approuvée par l'acteur