Film telugu réalisé par Mani Ratnam en 1989, et doublé en tamoul sous le titre Idhayathai Thirudathe. C'est cette version doublée, disponible sur Bollymarket, que j'ai regardée.
Prakash (Nagarjuna), atteint d'un cancer incurable, ne supporte pas les larmes de ses parents. Il s'installe à Ooty pour y finir sa vie. Il y rencontre Gitanjali (Girija), une jeune fille assez délurée qui lui redonne goût à la vie. Mais la bonne humeur de Gita cache un grave problème de santé.
Pour son seul film en telugu, Mani Ratnam, fidèle à ses habitudes, n'a pas choisi la facilité avec cette histoire d'individus condamnés, mais décidés, malgré tout, à vivre pleinement le temps qui leur reste. Il traite ce sujet avec une grande retenue : les personnages pleurent très peu, et on peut évidemment comprendre dans un sens méta-cinématographique la volonté de Prakash de fuir sa mère qui fond en larmes dès qu'elle le voit. La maladie est donc abordée sans pathos excessif, mais, revers de la médaille, elle paraît bizarrement désincarnée : elle ne semble pas atteindre physiquement les personnages, c'est surtout une donnée qui les empêchent de se projeter dans le futur,une menace avec laquelle ils apprennent à vivre. Plus que la maladie, c'est la conscience, constamment repoussée, d'une mort imminente qui hante le film.
Les néons blafards de l'hôpital dans lequel le cancer de Prakash est diagnostiqué disparaissent bien vite au profit de la lumière douce et brumeuse de la vallée d'Ooty*, souvent filmée tôt le matin et dominée par le vert de la végétation et le jaune des fleurs du marché (magnifiquement filmé) et des robes de Gita. Mani Ratnam exploite toutes les potentialités de ce brouillard apparemment typique de la région, et renforcé au besoin par des fumigènes : horreur pour rire le temps d'un clip dans un cimetière qui évoque Thriller, sentiment d'angoisse provoqué par la brume qui s'engouffre dans la maison par une porte soudain ouverte, mélancolie et désespoir quand la mort semble l'emporter, ou création d'une atmosphère intime propice au romantisme.
La diversité des traitements de ce topos de la mélancolie montre bien que Gitanjali est loin d'être toujours triste. La joie de vivre et l'espièglerie du personnage éponyme sont communicatives, et c'est pour préserver ce trait de son caractère que Prakash décide de lui dissimuler la maladie dont il souffre. Gita, en bonne héroïne ratnamienne (cf. Roja, ou le personnage d'Aishwarya dans "Barso re" de Guru), est présentée lors d'une séquence chantée sous la pluie, dans la campagne. Elle est associée à des enfants qui courent, à des chevaux en liberté : pour le spectateur elle représente les forces de l'enfance naïve et pleine de vie.
Mais Mani Ratnam n'aime rien tant que jouer avec ce type de symbolisme un peu facile, et l'on s'aperçoit que cette vie est bien précaire, et que Gita preserve ce coté puéril assez articiellement, comme une protection face à la maladie. Sa rencontre avec Prakash la fera passer d'un marivaudage ludique à un véritable amour, d'une bonne humeur en partie forcée à la conscience de la mort, lorsqu'elle découvrira le cancer de celui-ci, avant de retrouver une volonté de vivre plus sincère, car faisant face à la réalité (à l'opposée de la séquence du cimetière, où elle joue, telle une enfant, à se mettre en scène comme maîtresse de la mort). Prakash effectue le même parcours, en accéléré, au début du film (il est présenté comme un personnage don-juanesque et casse-cou dans les premières séquences), et semble un peu plus statique dans la suite du film. Sa découverte de l'"amour vrai" (associé à la "vraie vie") se fait assez vite, et par la suite il sert surtout de révélateur au personnage féminin. Mani Ratnam réserve cependant de belles scènes à Nagajurna, qui est pour moi une vraie révélation : autant je l'avait trouvé épouvantable dans Super, autant il est ici très bon, avec ce qu'il faut d'intensité, tout en évitant de surjouer. Girija, qui bizarrement n'a pas joué dans beaucoup d'autres films, est quant à elle parfaite.
Ce n'est cependant pas le meilleur film du réalisateur, ou, pour être plus juste, ce n'est pas celui qui a le mieux vieilli. Ainsi, les séquences comiques, mettant en scène la sulfureuse Silk Smitha dans un rôle de femme adultère, sont particulièrement longues et lourdes. Visuellement et musicalement, le film est par moment très daté, beaucoup plus, étrangement, que Nayakan, sorti deux ans plus tôt. Par chance cette influence de la mode des années 1980 s'atténue dès que Prakash arrive à Ooty, lieu à l'écart de l'air du temps. Parmi les passages les plus démodés, le premier clip, avec ses pantalons moulants, ses contrastes violents, et sa glorification de l'automobile.
A l'inverse, Ilayaraja est au mieux de sa forme quand il compose la musique de la séquence onirique "O Priya Priya", dont l'imagerie et le fonctionnement (une histoire autonome métaphorique des sentiments du personnage) préfigurent Sundari de Thalapathy.
* Ooty : station touristique située dans les collines du sud du Tamil Nadu. C'est également le décor de Sadma.
* * * *
Prakash (Nagarjuna), atteint d'un cancer incurable, ne supporte pas les larmes de ses parents. Il s'installe à Ooty pour y finir sa vie. Il y rencontre Gitanjali (Girija), une jeune fille assez délurée qui lui redonne goût à la vie. Mais la bonne humeur de Gita cache un grave problème de santé.
Pour son seul film en telugu, Mani Ratnam, fidèle à ses habitudes, n'a pas choisi la facilité avec cette histoire d'individus condamnés, mais décidés, malgré tout, à vivre pleinement le temps qui leur reste. Il traite ce sujet avec une grande retenue : les personnages pleurent très peu, et on peut évidemment comprendre dans un sens méta-cinématographique la volonté de Prakash de fuir sa mère qui fond en larmes dès qu'elle le voit. La maladie est donc abordée sans pathos excessif, mais, revers de la médaille, elle paraît bizarrement désincarnée : elle ne semble pas atteindre physiquement les personnages, c'est surtout une donnée qui les empêchent de se projeter dans le futur,une menace avec laquelle ils apprennent à vivre. Plus que la maladie, c'est la conscience, constamment repoussée, d'une mort imminente qui hante le film.
Les néons blafards de l'hôpital dans lequel le cancer de Prakash est diagnostiqué disparaissent bien vite au profit de la lumière douce et brumeuse de la vallée d'Ooty*, souvent filmée tôt le matin et dominée par le vert de la végétation et le jaune des fleurs du marché (magnifiquement filmé) et des robes de Gita. Mani Ratnam exploite toutes les potentialités de ce brouillard apparemment typique de la région, et renforcé au besoin par des fumigènes : horreur pour rire le temps d'un clip dans un cimetière qui évoque Thriller, sentiment d'angoisse provoqué par la brume qui s'engouffre dans la maison par une porte soudain ouverte, mélancolie et désespoir quand la mort semble l'emporter, ou création d'une atmosphère intime propice au romantisme.
La diversité des traitements de ce topos de la mélancolie montre bien que Gitanjali est loin d'être toujours triste. La joie de vivre et l'espièglerie du personnage éponyme sont communicatives, et c'est pour préserver ce trait de son caractère que Prakash décide de lui dissimuler la maladie dont il souffre. Gita, en bonne héroïne ratnamienne (cf. Roja, ou le personnage d'Aishwarya dans "Barso re" de Guru), est présentée lors d'une séquence chantée sous la pluie, dans la campagne. Elle est associée à des enfants qui courent, à des chevaux en liberté : pour le spectateur elle représente les forces de l'enfance naïve et pleine de vie.
Mais Mani Ratnam n'aime rien tant que jouer avec ce type de symbolisme un peu facile, et l'on s'aperçoit que cette vie est bien précaire, et que Gita preserve ce coté puéril assez articiellement, comme une protection face à la maladie. Sa rencontre avec Prakash la fera passer d'un marivaudage ludique à un véritable amour, d'une bonne humeur en partie forcée à la conscience de la mort, lorsqu'elle découvrira le cancer de celui-ci, avant de retrouver une volonté de vivre plus sincère, car faisant face à la réalité (à l'opposée de la séquence du cimetière, où elle joue, telle une enfant, à se mettre en scène comme maîtresse de la mort). Prakash effectue le même parcours, en accéléré, au début du film (il est présenté comme un personnage don-juanesque et casse-cou dans les premières séquences), et semble un peu plus statique dans la suite du film. Sa découverte de l'"amour vrai" (associé à la "vraie vie") se fait assez vite, et par la suite il sert surtout de révélateur au personnage féminin. Mani Ratnam réserve cependant de belles scènes à Nagajurna, qui est pour moi une vraie révélation : autant je l'avait trouvé épouvantable dans Super, autant il est ici très bon, avec ce qu'il faut d'intensité, tout en évitant de surjouer. Girija, qui bizarrement n'a pas joué dans beaucoup d'autres films, est quant à elle parfaite.
Ce n'est cependant pas le meilleur film du réalisateur, ou, pour être plus juste, ce n'est pas celui qui a le mieux vieilli. Ainsi, les séquences comiques, mettant en scène la sulfureuse Silk Smitha dans un rôle de femme adultère, sont particulièrement longues et lourdes. Visuellement et musicalement, le film est par moment très daté, beaucoup plus, étrangement, que Nayakan, sorti deux ans plus tôt. Par chance cette influence de la mode des années 1980 s'atténue dès que Prakash arrive à Ooty, lieu à l'écart de l'air du temps. Parmi les passages les plus démodés, le premier clip, avec ses pantalons moulants, ses contrastes violents, et sa glorification de l'automobile.
A l'inverse, Ilayaraja est au mieux de sa forme quand il compose la musique de la séquence onirique "O Priya Priya", dont l'imagerie et le fonctionnement (une histoire autonome métaphorique des sentiments du personnage) préfigurent Sundari de Thalapathy.
* Ooty : station touristique située dans les collines du sud du Tamil Nadu. C'est également le décor de Sadma.
2 commentaires:
Bonjour A2line,
J'aime toujours découvrir des choses sur Mani Ratnam... donc selon toi ça ne vaut pas vraiment le coup de voir ce film?
Quelle belle chanson, Priya Priya!
A bientôt,
yves
Bonjour Yves,
ça vaut quand même le coup, surtout que le film n'est pas très long (137 min). C'est un bon film, très "ratnamien", même s'il a les défauts de la plupart des films indiens des années 80. Cependant si tu as le choix entre Gitanjali et d'autres films de Mani Ratnam de la même époque, comme Thalapathi (avec Rajnikanth) ou Nayakan (avec Kamal Hassan), il vaut peut-être mieux voir un de ceux-là.
Adeline
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