8.8.07

Swades (2004)

Swades est bien souvent l'objet d'un malentendu : parce qu'il s'écarte des conventions de la plupart des films grand public, parce qu'il revendique jusque dans son titre une visée sociale et patriotique (je n'attache à ce mot aucune connotation négative), on a voulu y voir un film réaliste. Et l'on se récrie sur la mauvaise foi d'Ashutosh Gowariker qui ne montre d'une Inde édulcorée que des villages bien proprets où les problèmes les plus graves n'attendent que l'arrivée de ShahRukh Khan pour se régler en trois heures et demie. Or Swades n'est pas plus un film réaliste que Lagaan, auquel on le compare souvent, n'était un film historique.

Mais revenons au sujet : Mohan, ingénieur à la NASA, revient en Inde dans le dessein de ramener aux Etat-unis sa vieille nourrice, dont il est sans nouvelles. Kaveriamma vit dans un petit village en compagnie de sa fille adoptive Geeta (Gayatri Joshi). Celle-ci, institutrice, apprécie peu l'intrusion de Mohan, qui arrive avec ses gros sabots et ses préjugés d'occidental et prétend changer le monde pendant ses deux semaines de vacances. Pour vaincre ses réticences et convaincre la vieille Kaveriamma de l'accompagner, Mohan entreprend à la fois d'assurer au village une source d'électricité permanente et de convaincre les villageois d'envoyer leur enfants à l'école. Ces deux tâches, on s'en doute, ne manqueront pas de transformer profondément notre ingénieur.


Alors que Mohan s'attendait à faire venir dans le monde moderne une vieille dame fatiguée, il tombe amoureux d'une jeune femme active et déterminée. L'allégorie est claire : l'Inde que Mohan découvre n'est pas tout à fait celle qu'il avait imaginée en Amérique. Elle est jeune et pleine de ressources. Première révélation. Les problèmes (pauvreté, immobilisme, discrimination) ne sont cependant pas inexistants. Cela, Mohan le savais bien, et se plaisait à le rappeler autour d'un bon repas, critiquant à l'envi l'inefficacité du gouvernement. Mais il y a loin de la connaissance théorique à l'expérience vécue, et il faut la rencontre bouleversante d'un paysan réduit à la plus extrême pauvreté pour convaincre Mohan qu'il ne peut pas rester indifférent aux malheurs de son pays. Et c'est à peu près la thèse du film : l'Inde a des problèmes, mais si les Indiens en prennent conscience ils ont les moyens de les résoudre. Avec l'aide des NRIs (expatriés) mais sans renoncer à leur identité. Le film dit en substance : "Notre pays n'est pas le meilleur pays du monde, mais si nous le voulons, il le deviendra".

Sur ce point Swades se montre plus subtil que bien d'autres films (je pense par exemple à l'insupportable xénophobie de Pardes). Plutôt que des discours, il met en scène des débats, entre Mohan et Kavieramma, Geeta, les villageois. Mohan doit convaincre pour accomplir ses projets, mais il est bien souvent à cours d'arguments. Il venait en Inde persuader que l'avenir est en Amérique, ou à défaut dans une Inde occidentalisée (comme le montre ses réticences à revêtir le costume approprié lors de la fête religieuse : "un jeans ferait l'affaire, non ?" - s'ensuit une scène mémorable et très drôle -). Conduit par ses sentiments à aider Geeta, il adopte finalement, lors de son unique longue tirade, la position de celle-ci, aussi intransigeante sur le respect dû à la culture et à la tradition que sur la nécessité de la modernisation et du progrès vers l'égalité (des castes, de l'homme et de la femme). Et c'est une fête "traditionnelle" qui offre au film son plus beau morceau musical.

Voilà pour le film à message. Je me suis un peu trop étendue sur ce point, mais cela m'a semblé nécessaire, car Swades n'est pas une histoire d'amour qui aurait des connotations sociales. C'est vraiment ce message qui est au coeur du film, qui en subordonne la narration et la mise en scène, et qui donne son sens et sa profondeur à l'histoire de Mohan et de Geeta.


Et c'est lui qui permet de comprendre ce prétendu réalisme. Ashutosh Gowariker n'a jamais voulu nous montrer la "vraie" Inde. Que voit-on lorsque le camping-car de Mohan, intrusion de la modernité matérielle de toute évidence incongrue en ce lieu, s'engage pour la première fois dans les ruelles du village : une galerie de caricatures, de personnage pitoresques plus surprenants les uns que les autres, vaguement inquiétants, tel ce lutteur en caleçon rouge qui s'agite sans raison apparente. Et que dire de la première apparition de Mela Ram, le cuisinier qui guidera Mohan tout au long du film, qui surprend celui-ci à son réveil, le visage collé contre la vitre du camping-car ? Ce qui apparaît devant nos yeux, c'est le village tel que le voit Mohan à son arrivée, avec son regard de NRI. Et ce sont ces mêmes personnages, devenus familiers et attachants, (et bien différents de ce qu'on aurait pu penser d'eux : le lutteur est ainsi en réalité un postier féru de modernité) que l'on regrettera autant que lui de quitter. Car, ce n'est pas une surprise, Mohan s'attache de plus en plus à l'Inde. Le spectateur aussi : comment en serait-il autrement, vu la beauté des paysages et des couleurs, vives sans être jamais kitches. J'en profite pour souligner la beauté plastique du film : chaque image semble avoir été composée avec soin.

De même, le film ne montre pas la vie de tous les jours du village, mais présente une succession de petites scènes significatives, souvent drôles, qui évitent la monotonie et mettent en jeu un grand nombre de personnages représentatifs (le père qui se croit progressiste mais n'envoie pas ses filles à l'école, l'Intouchable, le notable traditionaliste...). Mais cette diversité ne nuit jamais au déroulement dramatique de l'action, à laquelle tous ces tableaux sont étroitement rattachés.


Pour qu'un film aussi riche, et si strictement orienté par sa thèse puisse être humain et intéressant - et Swades l'est - , il fallait une interprétation exceptionnelle. Celle de Shahrukh Khan ne déçoit pas. C'est le seul film où je ne l'ai - presque - pas vu sur-jouer. Il est extrêmement sobre (on ne rigole pas) et subtil, et abandonne tous ses tics. J'aime particulièrement la scène, lors de la chanson Dekho Na, où, la cigarette à la main et un sourire sûr de lui aux lèvres il lance à Geeta assise à côté de lui dans le camping-car son habituel regard de dragueur ("The Look"comme dirait les Goodness Gracious me). Parfaitement indiférente, celle-ci lui ordonne d'un mouvement de la tête de jeter sa cigarette. Et Raj/Rahul, penaud, disparaît pour le restant du film.

Enfin, il est impossible de ne pas parler de la musique de Rahman, qui est, à mon humble avis, la plus belle BOF qu'il m'ai été donné d'entendre. Yun Hi Chala Chal est peut-être le morceau le moins remarquable, mais il vaut néanmoins par l'inteprétation d'Udit Narayan. Il présente la re-découverte de l'Inde par Mohan en route vers le village. La mise en images alterne paysages indiens et plans un peu inutiles sur le camping-car. La chorégraphie de Yeh Tara woh Tarah met à l'honneur un élément important de la culture indienne contemporaine : le cinéma. C'est cette chanson qui révèle le plus ce qui unit Swades à Lagaan et ce qui sépare les deux films. Le thème est le même : seuls nous sommes impuissants, ensemble nous vaincrons. Mais l'ennemi extérieur a été remplacé par l'intolérance et l'immobilisme, et Rahman renonce presque totalement aux accents guerriers de Chale Chalo, et compose une chanson à la fois douce et déterminée, où des voix d'enfants succèdent à celle d'Udit Narayan.

Saanwariya est un solo amoureux de Yalka Yagnik, fidèle à la tradition du genre et de toute beauté. Il permet à Gayatri Joshi d'apporter de l'émotion dans sa composition et révèle un autre visage de Geeta. Pal Pal Hai Bhari met en scène une pièce de théâtre représentant les lamentations de Sita et sa libération par le dieu Ram. C'est le morceau le plus indien du film, le plus exigeant aussi, et le plus beau. La mise en scène dépouillée de la chorégraphie en souligne l'élégance.



Dekho na est le morceau le plus romantique. Geeta cligne des yeux dans la lumière des phares que Mohan utilise comme des projecteurs de cinéma. Mohan et Geeta se tiennent par la main, de dos, dans l'obscurité. Il suffit de peu de choses pour dire l'intimité et la paix de ce couple. Yeh Jo Des Hai Tera, du pur Rahman, qui préfigure un peu Tere Bina de Guru, est le morceau le plus émouvant, un appel de leur terre natale à tous les exilés. Enfin le DVD Bodega offre en bonus une chanson coupée, qui s'insérait en effet mal dans la narration, mais n'en est pas moins magnifique. Il s'agit d'une berceuse, Aahista Aahista.

En un mot, Swades est un film assez extraordinaire par la façon dont il mélange dureté et douceur, tendresse (pour tous les personnages ) et sévérité (envers l'injustice). C'est un film paisible qui incite à l'action.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour Adeline,

Bien, ton commentaire sobre et complet sur Swades. As-tu toi aussi lu des commentaires négatifs de ce film? Je l'avais beaucoup aimé, et j'avais été étonné quand je les avais rencontrés. Je crois qu'en fait ils viennent de spectateurs qui de toute façon n'apprécient pas beaucoup SRK, et puis, bon, comme tu le soulignes toi-même, si on recherche la représentation de "l'Inde réelle", on est un peu en reste avec Swades. C'est une Inde certes quelque peu relookée.
Mais le message du film que tu indiques me semble de toute façon pertinent.
Cheers
yves

Adeline a dit…

Bonjour Yves,

Merci pour ton commentaire, je suis contente de voir que tu apprécies toi aussi ce film.
J'ai lu un certain nombre de critiques négatives, qui portaient souvent sur le rythme du film, ou bien venaient de ce qu'on le comparait avec Lagaan (Pour dire qu'Aamir Khan jouait mieux), ou bien avec Dil se (autre film "sérieux" de SRK), pour regretter que Swades n'ai pas la même puissance émotionnelle. Je trouve que les trois films sont trop différents pour être comparé.
On reproche aussi parfois à Swades d'être un peu simpliste dans sa représentation du travail de l'ingénieur. Pour cela je fais confiance aux spécialistes. D'un point de vue cinématographique, je doute qu'Ashutosh Gowariker ait pu faire entrer plus de détails dans un film déjà fort long.
Il est en outre vrai que beaucoup de gens détestent a priori tous les films de Shahrukh Khan.

A bientôt sur ton blog ou le mien,
A2line

Anonyme a dit…

Personnellement, j'adule Shah Rukh Khan, notamment dans ce film à la fois merveilleux et social. Shah Rukh qui chante les étoiles en compagnie des enfants de Charenpur est un grand moment. Mais mon préféré du Shah et du cinéma indien est Mohabbatein. L'osmose entre Shah Rukh et Aishwarya est totale, les chansons et les danses sont sublimes, et m'ont procuré les plus belles émotions (extase, bonheur) du cinéma tous pays et tous genres confondus.

Anonyme a dit…

En tout cas, grand bravo pour votre blog chatoyant et grandement intéressant pour ceux qui s'intéressent à ce cinéma si flamboyant et si passionnant.

A bientôt,
Rom
www.kusanagimotoko.blogspot.com

Adeline a dit…

Bonjour Rom,

Merci pour ton commentaire. Si tu a lu quelques pages de ce blog tu t'es peut-être rendu compte que je partageais ton admiration pour Shahrukh Khan.

Je ne suis cependant pas une grande fan de Mohabbatein, d'abord parce que j'ai trouvé l'interprétation assez décevante (j'ai rarement vu Amitabh aussi monolithique, et les six jeunes acteurs ne sont pas tous convaincants (Uday Chopra :-b ); en revanche rien à dire sur Ash, c'est l'un des rares films où je la trouve parfaite) ensuite parce que je n'ai pas tellement aimé l'esthétique du film (toutes ces couleurs pastels).

Les scènes où Ash et SRK sont ensemble sont en effet les plus belles.

Au final je ne trouve pas que ce soit un mauvais film, mais il m'a moins touché que d'autres

en espérant te lire à nouveau bientôt,

Adeline

ps: c'est bizarre le lien vers ton profil ne fonctionne pas

Anonyme a dit…

Je te rassure, je ne suis pas un spam ou un virus, mon blog s'appelle Nexus six : www.kusanagimotoko.blogspot.com

J'ai vu que Dil se était ton film favori de Bollywood. Malheureusement, je ne l'ai pas encore vu. Mes préférés outre Mohabbatein sont Kal ho naa ho, Kabhi Khushi Khaie Gham, Swades, Dilwale Dulhania Le Jayenge.
A +,
Rom.

Adeline a dit…

lol, je te le signalais juste. J'ai posté ma réponse avant de voir ton deuxième commentaire.

J'ai laissé un commentaire sur ton blog, à l'article Soni Soni, mais j'ai l'impression qu'il ne veut pas s'afficher.

J'ai en outre mis un lien dans la catégorie "blog cinéma"

A plus,

A2line

Anonyme a dit…

Ton commentaire s'est maintenant bien affiché ; en fait, j'ai un filtre. Les spams ne passeront pas par moi. Lol aussi.
Je te met aussi en lien.
A +.
Rom.