Sikandar, c'est le nom sous lequel est connu en Asie du Sud Alexandre le Grand, dont l'affrontement avec le roi indien Pûru (Poros) est au cœur de ce film de Sohrab Modi. Du fait de ses conquêtes qui l'ont conduit jusqu'à l'actuel Pendjab, Alexandre est une des rares figures antiques qui soient aujourd'hui encore présente tant dans l'imaginaire européen que dans l'imaginaire indien, bien que l'angle sous lequel il est considéré varie considérablement d'un continent à l'autre.
Sikandar commence en Perse, dans les décors grandioses d'une Persépolis de studio. Alexandre, vertement sermonné par son maître à penser Arstu (plus connu ici sous le nom d'Aristote), renonce à batifoler avec Roxane pour accomplir son destin : conquérir le monde.
Inutile de chercher la moindre trace d'Héphaistion ici, Roxane est le seul amour d'Alexandre. Elle se résout à laisser partir son amant, mais n'a pas l'intention de jouer les Pénélope et embarque secrètement pour l'Inde. Pendant qu'Alexandre s'adjoint les armées du roi Ambhi qui lui a cédé sans combattre et se prépare à affronter Pûru, le chef de la résistance indienne, elle noue ses propres alliances.
L'armée d'Alexandre en marche
Sohrab Modi avait une prédilection pour les films en costumes à gros budget, qui offraient des spectacles somptueux, capables, estimait-on, de rivaliser avec les plus grosses productions américaines de l'époque*. Sikandar en est un parfait exemple : le réalisateur a particulièrement soigné les longues scènes de bataille, qui impliquent un nombre considérable de figurants, de chevaux et d'éléphants et sont effectivement impressionnantes.
Mais Sikandar n'est pas qu'un film à grand spectacle. Les Anglais ne s'y sont pas trompés, qui ont interdit les projections du film dans les cinémas fréquentés par leurs soldats*. C'est un film patriotique et anticolonialiste, dont le message est incarné par le roi Pûru, véritable héros du film, qu'interprète Sohrab Modi lui-même. Les premiers mots que prononce son personnage sont d'ailleurs "Bharat Mata ki jai ho" ("Victoire à l'Inde, notre mère"). Il fédère les royaumes indiens contre l'agression injustifiée d'Alexandre et lutte courageusement contre des forces macédoniennes pourtant nettement supérieures en nombre.
Cet éloge de la lutte pour l'indépendance risquait pourtant de tomber rapidement sur un os : malgré toute sa détermination, Pûru a perdu la guerre qui l'opposa à Alexandre. Une difficulté facilement levée par le scénariste : Pûru a eu par deux fois l'occasion de mettre le Macédonien hors d'état de nuire. S'il a perdu, c'est parce que sa noblesse d'âme ne le lui a pas permis d'en profiter – et à cause de l'intervention de l'habile Roxane, qui lui avait fait promettre de ne pas tuer Alexandre.
Face à ce héros parfait, on aurait pu s'attendre à voir Alexandre l'envahisseur présenté sous un jour extrêmement négatif. Il n'en est rien, et Sikandar est mille fois moins manichéen que bien des films patriotiques sortis après l'indépendance. C'était peut-être le seul moyen d'éviter une interdiction totale par la censure anglaise, mais quoiqu'il en soit le film gagne au change. Son Alexandre est influençable, impulsif, beaucoup trop sûr de sa chance, mais lui aussi noble et généreux, et finalement assez sympathique – la prestance et l'énergie de Prithviraj Kapoor (imaginez Shashi Kapoor, mais en plus athlétique) y contribuent grandement. Sa conquête du monde finit par tourner court, peu après sa victoire sur Pûru, mais la déception est vite remplacée par la joie de retrouver Roxane, et son retour en Macédoine est présenté comme une victoire du bon sens sur une folle ambition – Sohrab Modi oublie opportunément de signaler qu'Alexandre meurt moins d'un an plus tard.
"The dress that Kapoor wears as Alexander – a knee length robe with a body scabbard and head gear – adds to his aura. It must be said to Kapoor's credit that no actor in the annals of Hindi films has ever carried such a costume with such élan, grace and ease as he did, with the exception of perhaps Dharmendra in Dharam-Veer".**
Bref, un film péplum très réussi, impressionnant et original, important également par le contexte de son tournage et de ses projections. En effet le film a aussi accompagné un autre moment de l'histoire de l'Inde : il a de nouveau été projeté en 1961, lorsque l'ancienne colonie portugaise de Goa a été réintégrée à l'Inde.
* * * * *
C'est la première fois que je regarde un film indien aussi ancien. J'ai été frappée par la voix des chanteuses d'avant Lata Mangeshkar. Jugez plutôt.* Yves Thoraval, Les Cinémas de l'Inde, 1998, p.115.
**"Sikandar (1941)", A.P.S. Malhotra, The Hindu, 29 avril 2011. L'auteur fait référence à ces costumes. Je tiens à préciser que ceux de Sikandar sont nettement plus réussis.
**"Sikandar (1941)", A.P.S. Malhotra, The Hindu, 29 avril 2011. L'auteur fait référence à ces costumes. Je tiens à préciser que ceux de Sikandar sont nettement plus réussis.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire