26.4.20

Mr & Mrs 55 (Guru Dutt, 1955)


Anita (Madhubala), 20 ans, s'apprête à toucher l'héritage de son père. Mais celui-ci a mis une condition dans son testament : pour avoir l'argent, sa fille devra se marier dans le mois. Or sa tante, qui l'élève, est une militante féministe farouchement opposée au mariage. Elle décide donc de payer quelqu'un pour épouser Anita et divorcer dans les jours qui suivent. C'est Pritam (Guru Dutt), dessinateur sans le sou, qui est embauché. Mais Anita et Pritam se connaissent déjà et s'apprécient beaucoup...


"Le mari d'une héritière admet un adultère" - cela nous est dit dès le générique de début : toute l'intrigue ou presque sera donc un flash-back

Il se dégage de ce film, surtout dans la première partie, une ambiance de comédie romantique américaine. Je n'ai pas été surprise de lire que le projet de la tante d'Anita était inspiré par un film américain dans lequel une Européenne décide d’épouser contre rémunération un acteur américain au chômage afin de pouvoir vivre aux USA, à la condition qu'il accepte de divorcer rapidement (raconté par Abrar Alvi, cité par Nasreen Munni Kabir). Si quelqu'un connaît le titre de ce film, je suis preneuse ! Il règne sur le film une atmosphère de légèreté amoureuse, d'humour diffus. Même l’extrême pauvreté de Pritam est traitée sans le moindre pathos (après qu'il a fait une remarque sur la pauvreté de la population,  à la tante qui lui demande "Are you a communist ?" il répond "No, I'm a cartoonist". Tout est dit sur l'aspect politico-social du film : nous sommes dans la caricature, la satire. Nous y reviendrons.)

 
 

Les chansons sont toutes des chansons d'amour, le plus souvent joyeuses, à l'image de ces deux passages : dans le premier, Pritam vient de rencontrer Anita qui lui est littéralement tombée dessus. Interrogé par son ami sur son silence, il répond en chantant  :


 

Quelques minutes plus tard à peine, une autre chanson nous révèle qu'Anita est elle aussi d'humeur amoureuse (d'un autre homme, mais c'est un détail qui sera vite réglé).

 

Deux scènes filmées tout en mouvement, qui respirent le bonheur de sentir son cœur battre pour quelqu'un. Le film est rythmé et porté par des dialogue vifs et drôles. Il a incontestablement tous les ingrédients d'une bonne comédie romantique.

Hélas, le film a très mal vieilli. C'est en effet une critique féroce du féminisme, présenté comme un mode de vie venu d'occident (alors que le féminisme proprement indien est bien documenté, par exemple dans  The History of Doing et existe depuis longtemps). 


Dès la première scène, on sent que c'est mal parti : on voit les auditrices d'un meeting féministe peu concentrées échanger des conseils beauté au lieu d'écouter l'oratrice.
La leader féministe, c'est tante d'Anita, véritable tyran assez ridicule (elle est toujours suivie de sa secrétaire qui prend tout en note). Anita et sa tante sont présentées comme totalement déconnectées de la réalité de l'Inde par leur richesse et leur occidentalisation (à Pritam qui lui dit qu'il n'a pas de pain, Anita lui dit d'acheter des biscuits). C'est quand Pritam emmène de force sa nouvelle épouse au village voir sa belle-sœur, qu'elle "découvre" que l'on peut être heureuse en épouse traditionnelle, avec trois enfants, toutes les corvées domestiques à faire, et un mari qui vous frappe occasionnellement (et oui... le film a beaucoup vieilli) ...La belle-sœur est jouée par Kumkum, actrice charmante et talentueuse, et est clairement présentée comme le modèle de la femme indienne.


Un beau « straw man », procédé rhétorique consistant à déformer les propos de son adversaire pour en faire un argument facilement réfutable



Bref, soit on se laisse emporter par l'intrigue et l’atmosphère légèrement euphorisante qui règne sur la plus grande partie du film, soit on grince des dents devant un discours si réactionnaire.

Le film est visible sous-titré en anglais sur Youtube .

J'ai utilisé ici encore Guru Dutt : A Life In Cinema de Nasreen Munni Kabir

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