Voici sans doute un de mes derniers posts avant les prochaines vacances, car l'année universitaire s'annonce assez chargée.
Zeenat (Gul Kirat Panag), qui vit dans le Cachemire, est mariée à Amir. Loin de là, dans le Rajasthan, Meera (Ayesha Takia) a épousé Shankar. Les deux hommes, comme des millions d'Indiens, partent travailler en Arabie Saoudite. Jusqu'au jour où Amir tue accidentellement Shankar. Il est condamné à mort. Seul recours : que la veuve de sa victime signe une lettre demandant sa grâce. Zeenat, femme déterminée et indépendante, part alors à la recherche de Meera, qu'elle n'a jamais vue.
Zeenat (Gul Kirat Panag), qui vit dans le Cachemire, est mariée à Amir. Loin de là, dans le Rajasthan, Meera (Ayesha Takia) a épousé Shankar. Les deux hommes, comme des millions d'Indiens, partent travailler en Arabie Saoudite. Jusqu'au jour où Amir tue accidentellement Shankar. Il est condamné à mort. Seul recours : que la veuve de sa victime signe une lettre demandant sa grâce. Zeenat, femme déterminée et indépendante, part alors à la recherche de Meera, qu'elle n'a jamais vue.
L'accroche de Dor demande "How far would you go to save the one you love?", donnant l'impression que le sentiment amoureux et le lien (sens du mot "dor") entre mari et femme sont au coeur de l'intrigue. En réalité les maris ne sont jamais présents en tant que sujets, et l'accent n'est pas mis sur les sentiments qui ont pu exister au sein des couples.
On a l'impression qu'Amir est de plus en plus abstrait, que la quête de Zeenat se met à exister de façon presque autonome, parce que la femme libérée qu'elle veut être a besoin de se fixer un but, quel qu'il soit, et d'agir en conséquence. Quant à Shankar, il ne commence à exister qu'à partir du moment ou sa mort prive Meera de tout ce qu'elle avait. Il est significatif que le film ne présente aucun de ses flash-back si fréquents dans le cinéma hindi, ressorts mélodramatiques qui soulignent par le rappel des jours heureux le malheur des personnages. Plus remarquable encore est le fait que le film s'achève sur l'évocation des deux femmes, sans qu'Amir ne réapparaisse à l'écran. J'en vient presque à me demander si la première séquence présentant les deux couples était bien nécessaire. Non pas qu'elle soit mauvaise, visuellement c'est même splendide, mais il me semble que le film aurait encore gagné en force et en unité si elle n'avait pas été là. Si elle peut se justifier dans le cas de Meera, car elle introduit certains thèmes (notamment musicaux) qui ont leur importance dans le reste du film, la partie kashmiri - jusqu'au départ d'Amir - ne me semble pas servir à grand chose, si ce n'est à établir une symétrie.
Le seul homme qui est un rôle important (en dehors de ceux de la belle famille de Meera et de leur amis, strictement réduit à leur rôle d'opposants) est Behroopiya, le comédien-arnaqueur (Shreyas Talpade, vraiment très fort) qui apporte son aide à Zeenat. Ce personnage intéressant se situe d'emblée hors des rapports hommes-femmes classiques, puisque qu'il sait très bien que l'amour que lui inspire un personnage défini par sa fidélité à son mari est voué à l'échec. Pas de tragédie pourtant : lui même ne semble pas prendre très au sérieux des sentiments qui relèvent plus de la fascination et de l'admiration. La scène où il déclare sa flamme à une femme mariée aurait été dans beaucoup de films soulignée par de nombreux coup de tonnerre et des mouvements de caméra expressifs : rien de cela ici, mais une scène tendre et drôle, où la tristesse reste sous-jacente.Ce sympathique personnage, spécialiste des imitations de héros de films hindi (voir son interprétation très Bachchan-ienne du flic indien), qui aide Zeenat moitié pour soulager sa mauvaise conscience (il lui a volé son sac) moitié par désoeuvrement, est aussi un relai offert au regard du spectateur masculin : il prend peu à peu conscience, au contact de Zeenat, des épreuves que doivent affronter les femmes, - et notamment les veuves, réduites dans ce milieu très conservateur à n'être plus que des esclaves au service de leur belle-famille, contraintes de s'envelopper dans un vêtement bleu foncé, privé de tout loisir et sans droit à la parole - avant de repartir aussi soudainement qu'il est venu, laissant Zeenat accomplir seule sa mission.
L'une des caractéristiques des films hindi à laquelle j'ai le plus de mal à m'habituer est l'existence fréquente d'un motif comique totalement indépendant de l'intrique principale et qui l'interrompt à intervalle régulier. Ce procédé très caractéristique tend cependant à s'atténuer, et si le mélange des genres est toujours la règle, la fusion s'opère souvent de façon plus harmonieuse. Le fait que dans Dor le personnage comique intervienne dans l'intrigue, et ne soit pas un simple pantin source de gags invraisemblables mais un personnage aussi subtile et nuancé que les deux héroïnes contribue à l'unité du film, renforcé par l'omniprésence des sables du Rajasthan, qui, passée la première séquence dans un Cachemire verdoyant, donne l'impression d'une unité de lieu, même lorsque les personnages s'éloignent du petit temple isolé qui abrite les rencontres des deux femmes pour s'aventurer dans des palais peints autrefois somptueux ou dans les dunes du désert lors d'une ballade à dos de chameaux récalcitrants (sont-ce des chameaux ou des dromadaires ? Je n'ai pas pensé à compter les bosses).
Quelques colonnes de couleur ocre, un toit, une enceinte basse et un arbre, voici le cadre dans lequel se meuvent les silhouette si différentes de Zeenat et de Meera, le décors minimaliste et élégant qui met bien en valeur l'essentiel du film, les sentiments complexes qui naissent entre ces deux femmes, dont l'une, contrainte à la manipulation, se laisse peu à peu prendre au piège d'une amitié qu'elle croyait factice, tandis que l'autre découvre la liberté et revient peu à peu à la vie au contact d'une femme qui pourtant lui ment (magnifique scène où tout enveloppée de son lourd vêtement de veuve, elle esquisse furtivement quelques mouvements de danse sur un air qu'elle écoutait autrefois avec Shankar). Le film ne porte aucun jugement sur les deux personnages. On souhaite bien entendu qu'Amir vive, mais le réalisateur souligne combien les conséquences de la mort de son mari sont lourdes à supporter pour Meera, et ne cache rien du manège ambigu de Zeenat, dont le personnage n'est pas toujours sympathique. La condamnation de l'hypocrisie que permettent des coutumes misogynes est en revanche sans appel.
Il n'y a que très peu de passages dansés dans ce film court (147 min.) mais la musique y est néanmoins très présente, contribuant pour une grande part à l'émotion ressentie. Associé au jeu sensible des acteurs, elle évite que l'austérité du sujet ne transforme Dor en film à thèse. Je regrette juste que la magnifique chanson Allah Hoo n'ai pas été intégrée au film.
Selon moi le meilleur film de l'année dernière. Il faut absolument que je vois les autres films du réalisateur, Nagesh Kukunoor
A venir : critique d'un livre, pour changer, King of Bollywood : Shah Rukh Khan and the seductive world of Indian cinema, d'Anupama Chopra.
On a l'impression qu'Amir est de plus en plus abstrait, que la quête de Zeenat se met à exister de façon presque autonome, parce que la femme libérée qu'elle veut être a besoin de se fixer un but, quel qu'il soit, et d'agir en conséquence. Quant à Shankar, il ne commence à exister qu'à partir du moment ou sa mort prive Meera de tout ce qu'elle avait. Il est significatif que le film ne présente aucun de ses flash-back si fréquents dans le cinéma hindi, ressorts mélodramatiques qui soulignent par le rappel des jours heureux le malheur des personnages. Plus remarquable encore est le fait que le film s'achève sur l'évocation des deux femmes, sans qu'Amir ne réapparaisse à l'écran. J'en vient presque à me demander si la première séquence présentant les deux couples était bien nécessaire. Non pas qu'elle soit mauvaise, visuellement c'est même splendide, mais il me semble que le film aurait encore gagné en force et en unité si elle n'avait pas été là. Si elle peut se justifier dans le cas de Meera, car elle introduit certains thèmes (notamment musicaux) qui ont leur importance dans le reste du film, la partie kashmiri - jusqu'au départ d'Amir - ne me semble pas servir à grand chose, si ce n'est à établir une symétrie.
Le seul homme qui est un rôle important (en dehors de ceux de la belle famille de Meera et de leur amis, strictement réduit à leur rôle d'opposants) est Behroopiya, le comédien-arnaqueur (Shreyas Talpade, vraiment très fort) qui apporte son aide à Zeenat. Ce personnage intéressant se situe d'emblée hors des rapports hommes-femmes classiques, puisque qu'il sait très bien que l'amour que lui inspire un personnage défini par sa fidélité à son mari est voué à l'échec. Pas de tragédie pourtant : lui même ne semble pas prendre très au sérieux des sentiments qui relèvent plus de la fascination et de l'admiration. La scène où il déclare sa flamme à une femme mariée aurait été dans beaucoup de films soulignée par de nombreux coup de tonnerre et des mouvements de caméra expressifs : rien de cela ici, mais une scène tendre et drôle, où la tristesse reste sous-jacente.Ce sympathique personnage, spécialiste des imitations de héros de films hindi (voir son interprétation très Bachchan-ienne du flic indien), qui aide Zeenat moitié pour soulager sa mauvaise conscience (il lui a volé son sac) moitié par désoeuvrement, est aussi un relai offert au regard du spectateur masculin : il prend peu à peu conscience, au contact de Zeenat, des épreuves que doivent affronter les femmes, - et notamment les veuves, réduites dans ce milieu très conservateur à n'être plus que des esclaves au service de leur belle-famille, contraintes de s'envelopper dans un vêtement bleu foncé, privé de tout loisir et sans droit à la parole - avant de repartir aussi soudainement qu'il est venu, laissant Zeenat accomplir seule sa mission.
L'une des caractéristiques des films hindi à laquelle j'ai le plus de mal à m'habituer est l'existence fréquente d'un motif comique totalement indépendant de l'intrique principale et qui l'interrompt à intervalle régulier. Ce procédé très caractéristique tend cependant à s'atténuer, et si le mélange des genres est toujours la règle, la fusion s'opère souvent de façon plus harmonieuse. Le fait que dans Dor le personnage comique intervienne dans l'intrigue, et ne soit pas un simple pantin source de gags invraisemblables mais un personnage aussi subtile et nuancé que les deux héroïnes contribue à l'unité du film, renforcé par l'omniprésence des sables du Rajasthan, qui, passée la première séquence dans un Cachemire verdoyant, donne l'impression d'une unité de lieu, même lorsque les personnages s'éloignent du petit temple isolé qui abrite les rencontres des deux femmes pour s'aventurer dans des palais peints autrefois somptueux ou dans les dunes du désert lors d'une ballade à dos de chameaux récalcitrants (sont-ce des chameaux ou des dromadaires ? Je n'ai pas pensé à compter les bosses).
Quelques colonnes de couleur ocre, un toit, une enceinte basse et un arbre, voici le cadre dans lequel se meuvent les silhouette si différentes de Zeenat et de Meera, le décors minimaliste et élégant qui met bien en valeur l'essentiel du film, les sentiments complexes qui naissent entre ces deux femmes, dont l'une, contrainte à la manipulation, se laisse peu à peu prendre au piège d'une amitié qu'elle croyait factice, tandis que l'autre découvre la liberté et revient peu à peu à la vie au contact d'une femme qui pourtant lui ment (magnifique scène où tout enveloppée de son lourd vêtement de veuve, elle esquisse furtivement quelques mouvements de danse sur un air qu'elle écoutait autrefois avec Shankar). Le film ne porte aucun jugement sur les deux personnages. On souhaite bien entendu qu'Amir vive, mais le réalisateur souligne combien les conséquences de la mort de son mari sont lourdes à supporter pour Meera, et ne cache rien du manège ambigu de Zeenat, dont le personnage n'est pas toujours sympathique. La condamnation de l'hypocrisie que permettent des coutumes misogynes est en revanche sans appel.
Il n'y a que très peu de passages dansés dans ce film court (147 min.) mais la musique y est néanmoins très présente, contribuant pour une grande part à l'émotion ressentie. Associé au jeu sensible des acteurs, elle évite que l'austérité du sujet ne transforme Dor en film à thèse. Je regrette juste que la magnifique chanson Allah Hoo n'ai pas été intégrée au film.
Selon moi le meilleur film de l'année dernière. Il faut absolument que je vois les autres films du réalisateur, Nagesh Kukunoor
A venir : critique d'un livre, pour changer, King of Bollywood : Shah Rukh Khan and the seductive world of Indian cinema, d'Anupama Chopra.
1 commentaire:
Bonjour A2line,
Ca y est, j'ai vu DOR, en partie grâce à toi et ton post, dont je m'étais souvenu en commandant le film.
Moi aussi, j'ai beaucoup aimé, c'est effectivement un très bon film.
Je résonne tout à fait avec tes remarques sur le décor, les sables du Rajasthan, le petit temple, la maison baroque de la famille de Meera, et puis en contraste, le Cachemire lointain montagneux et verdoyant de Zeenat.
Par contre, je ne trouve pas que le personnage de Zeenat soit comme tu le dis "pas toujours sympathique"; le film fait bien attention de la situer dans l'ambiguité qui est la sienne, ce devoir de retrouver Amir, dicté par son amour pour lui, et l'attachement qu'elle éprouve pour Meera, qu'elle aurait voulu connaître sans avoir eu à se servir d'elle. D'ailleurs le fait que Meera accepte de signer le document de pardon à la fin indique bien que celle-ci a compris le dilemme dans lequel se trouve Zeenat. Personnellement donc, j'ai trouvé son personnage constamment honnête et bien joué. Même si je suis d'accord que la palme revient à Ayesha Takia pour son jeu (non maquillée)!
Aussi, je te suis tout à fait dans ton évaluation de Shreyas Talpade, et de ce que tu dis des comiques obligés dans certains films. Son personnage est très original.
En fait le film est presque trop parfait pour moi! Je vais essayer d'y réfléchir...
cheers
yves
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