23.5.20

Student Of The Year (2012)

Il y a des films que personne n'oserait qualifier de bons, qui sont totalement régressifs mais absolument jouissifs. Il faut reconnaître que Karan Johar a un don pour ce genre de films. Et comme toujours, on ne sait pas trop ce qui est à prendre au premier degré et ce qui est à prendre avec un peu de distance. Student Of The Year est une sorte de film de campus comme Hollywood en est friand, mais où tout est exagéré, exacerbé. Et l'effet est grandiose.


Sorti en 2012, il possède deux particularités : les acteurs principaux sont tous des débutants (sauf Alia, qui avait eu un petit rôle enfant), et le film est sorti pile au moment où faute de temps je renonçais au cinéma indien. Je n'ai donc pas vu Sidharth Malhotra (Abhimanyu), Varun Dhawan (Rohan) et Alia Bhatt (Shanaya) faire les belles carrières qui ont suivi SOTY.

Tous ces petits nouveaux ont droit à leur entrée en scène de star, hypersexualisée (et assez gay) pour les hommes, bien cliché pour Alia, dépeinte en une chanson en accro à la mode, et un peu plus tard comme "pas trop maligne".

le torse de Rohan, qui se rêve en rock star (c'est ce qu'on voit en premier)
Abhi, très sexe
 et l'entrée en scène de Shanaya, au milieu d'une énumération de marques de luxe

Puisqu'on parle de gays, un mot sur un truc assez révolutionnaire. Un des personnages importants est homo, et il n'est pas totalement une caricature. C'est le doyen de l'Université, joué par Rishi Kapoor, très doué en mode comique. Mais pas d'erreur, si ses tentatives de dragues sont censées faire rire, c'est plus en raison de son statut et de son âge que parce qu'elles s'adressent à un homme (comme le flirt entre Miss Braganza et Mr. Malhotra dans Kuch Kuch Hota Hai). Ce qui n'empêchera sans doute pas certains spectateurs de rire pour de mauvaises raisons, et Karan Johar s’accommode de cette ambigüité. Le comique du personnage ne vient pas uniquement de son orientation sexuelle (heureusement) : la scène où il parle à sa plante est irrésistible. Si le personnage joue finalement un rôle négatif (avec une drôle d'explication : comme il n'arrive pas à se lier à quelqu'un, il s'amuse à briser les relations des autres  — qui peut être vue comme une remarque sur l'homophobie de la société indienne qui l'empêche de mener à bien sa vie amoureuse), il est décrit comme énergique et plein d'autorité. A un personnage qui demande si le doyen ne prendrait pas "la voie de derrière au lieu de l'autoroute", on répond "c'est le doyen, pas un taxi". Ou comment casser une vanne homophobe.


La maladie grave du doyen, donc, réunit dans un hôpital un petit groupe d'anciens élèves, dix ans après des événements qui les ont tous marqués. Les personnages parlent en aparté à la caméra, ce qui permet d'introduire les éléments important de l'histoire :


 "le malaise... après dix ans"

Dans une université de luxe, où les élèves se répartissent entre fils de riches donateurs et boursiers, Rohan, gosse de riche peu intéressé par les études, règne en maître. Il est depuis dix ans avec Shanaya, une des filles les plus populaires, mais ne cesse de flirter avec d'autres. Arrive Abhi, boursier, "villageois", et surtout extrêmement ambitieux. Entre les deux jeunes gens va se nouer une amitié profonde mais menacée par la rivalité. Rivalité pour Shanaya, pour l'admiration du père de Rohan, qui méprise son fils musicien et apprécie l'ambition d'Abhi, et surtout pour le trophée d'Etudiant de l'Année. 

L'arrivée d'Abhi, en chanson bien sûr, est joliment chorégraphiée : le chœur des étudiant.e.s commence par l'admirer en mode "qui est ce bel homme ?" (qui rappelle fortement la chanson "Deewana Hai Dekho", de Kabhi Khushi Kabhi Gham (La Famille indienne), du même réalisateur), mais la chanson se termine en affrontement avec Rohan façon West Side Story. Ce qui résume bien la situation. Pourtant rapidement, les deux hommes se lient d'amitié (par calcul de la part d'Abhi ? La question est posée).

Mais si l'Université Saint Teresa est un monde à elle tout seule, où se reproduisent tous les défauts du monde réel, les étudiants retrouvent un week-end sur deux leurs familles, toutes détestables, ambitieuses et calculatrices, et les plus riches ne sont pas les mieux lotis. La famille, c'est compliqué chez Karan Johar, mais c'est la première fois que je vois les relations familiales dépeintes de façon si négative. Quand on fait remarquer à Rohan qu'il est finalement devenu quelqu'un, il répond : "c'est parce que j'ai quitté mon père". On est très très loin de La Famille Indienne.


Le films tisse trois fils : l'intrigue amoureuse, la vie familiale des personnages, et la rivalité qui menace leur amitié, amitié pourtant vitale pour ces jeunes gens sans appui affectif dans leur famille. Plus le film avance, plus la critique de la compétition qui règne dans l'université (et dans tous les établissements indiens ?) est dure. Elle est cristallisée par la course au trophée de l'Etudiant de l'Année, qui occupe la deuxième partie du film, et dans laquelle les motivations de chacun sont bien différentes, comme on le découvre peu à peu. Si la compétition est rythmée et prenante, elle pose un problème pour le spectateur français : elle contient un jeu de piste dont les énigmes sont difficilement compréhensibles pour un non-indien.

Le gros point fort du film, est de réussir à raconter une histoire fluide en mêlant ces différents éléments. De même, les personnages secondaires ne sont pas que des clichés* ou des faire-valoir, ils jouent aussi un rôle dans les différentes intrigues et les complexifient. Ce n'est pas un film aussi facile qu'il en a l'air.

Shanaya entre ses deux hommes

L'intrigue amoureuse, assez cliché là aussi par moment (Shanaya veut rendre jaloux Rohan en flirtant avec son meilleur ami, qui bien évidemment tombe amoureux), réserve néanmoins de belles surprises. Shanaya, par exemple, qui explose "je ne suis pas un prix à remporter". Ou le sérieusement révolutionnaire "Radha on the dance floor", qui reprend le thème classique de Radha, la favorite du dieu Krishna, jalouse de le voir flirter avec les gopis (de jolies vachères). Mais la musique dance concurrence sérieusement les passage plus classiques. Et surtout, Shanaya dit des choses que je n'avais jamais entendues sur ce thème traditionnel : "Tout le monde tient Radha pour responsable" des infidélités de Krishna, "Radha en veut plus", "Radha aime bouger ce corps d'Indienne". ça secoue.


Pour résumer, c'est un film très Bollywood dans ses excès, mais adapté assez habilement pour un public né autour de l'an 2000. La critique sociale est bien présente, mais n'enlève rien aux moments d'émotions très touchants, que ce soit dans l'histoire d'amour ou d'amitié, et la fin contient son lot de surprises. La musique est assez moyenne, c'est bien dommage. Enfin, je découvre avec plaisir cette plus si nouvelle génération d'acteurs bien prometteuse et charmante (Surtout Siddarth...).



Et toujours, cette petite distance qui n’empêche curieusement pas l'émotion : comment prendre entièrement au sérieux un film dont une chanson s'intitule "l'Amour qui aime" ("Ishq wala Love")** ? 


*on aurait bien aimé, quand même, que l'intello ne soit pas un gros à lunettes, et la meilleure amie de l'héroïne une jeune femme à la peau plus foncée qu'elle. 
** une personne plus douée que moi en langues me suggère que ce titre est peut-être à prendre au 1er degré, voyant "love" comme une amourette et "ishq" comme l'amour passionné. Un truc comme "une amourette de tout cœur" (c'est ma traduction tenant compte de cette interprétation, et j'ai bien conscience qu'elle n'est pas terrible).

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