22.5.20

Yeh Jawaani Hai Deewani (2013)

Quand deux jeunes hommes et deux jeunes femmes partent en randonnée en montagne et se retrouvent neuf ans plus tard, on imagine, le cerveau empli de très nombreux films indiens, que deux couples se formeront parmi eux.

Yeh Jawaani Hai Deewani vaut le coup ne serait-ce que parce qu'il détourne ce schéma attendu. Je vais devoir spoiler assez largement la deuxième partie pour en parler, si vous ne l'avez pas vu, il vaut peut-être mieux ne pas lire.

Cette "folle jeunesse" (c'est le titre du film) est celle de Kabir (Ranbir Kapoor), Avi (Aditya Roy Kapur) et Aditi (Kalki Koechlin), trois amis qui partent en voyage à Manali, dans l’Himalaya. Ils sont rejoints à la dernière minutes par Naina (Deepika Padukone), beaucoup plus sage, mais lassée de sa vie monotone et studieuse d'étudiante en médecine. Juste après leurs vacances, Kabir part étudier le journalisme à l'étranger, malgré l'émergence de sentiments entre Naina et lui.
Quand il revient neuf ans plus tard, pour le mariage de l'une d'entre eux, beaucoup de choses ont changé.



Aditi nous est montrée comme amoureuse d'Avi. On s'imagine donc que neuf ans plus tard, c'est lui l'heureux élu. Et bien non ! Avi est plus que maussade au mariage, on s'imagine qu'il est jaloux du futur mari. Et bien non ! Et déjà, qui aurait imaginé qu'Aditi serait la première à se marier ?

En effet, Aditi, jouée par l'actrice blanche (mais indienne) Kalki Koechlin, semble cumuler tous les clichés associées aux occidentales. Elle est un peu hippie, pas très respectueuse de ses aînées, court vêtue, la seule à partir en rando avec un maquillage visible. Et il est fait allusion plusieurs fois à sa possible bisexualité. Bref, pas vraiment la fille indienne traditionnelle. La mère de Naina dit d'elle "A force de profiter de la vie, elle va finir enceinte et malheureuse". Évidemment, elle fume et boit. Petit accroc au cliché quand même, ce n'est pas elle, mais une Indienne, Lara, la tombeuse d'homme du groupe : Aditi en effet est secrètement amoureuse d'Avi. Et à la surprise générale de la spectatrice (moi), elle est la première à se marier, un mariage arrangé qui plus est,  un mois après avoir rencontré son prétendant.

avant 
 
après

Naina, l'intello de service (elle a des lunettes), prend ses études très au sérieux et ne rejoint qu'à la dernière minute ses amis. Religieuse, réservée, elle n'est pas tellement à sa place parmi cette bande de grands adolescents. D'ailleurs, c'est la seule qui fait la cuisine, quand les autres mangent des sandwichs au jambon. Dans la logique "maman ou putain" dont le film ne s'affranchit pas totalement (malgré de notables efforts), elle est clairement le premier terme. Quand ils jouent à "qui n'a jamais", elle réalise qu'elle n'a jamais rien fait de transgressif. Et pourtant, elle ne manque ni de courage ni de détermination.
Son départ en randonné marque le début de sa libération, de ses parents étouffants, et de ses propres exigences. De façon amusante, on la voit rejoindre Kabir à bord du train en marche non à la fin du film, quand l'héroïne enfin libre rejoint d'habitude son bien-aimé, mais avant leur départ en vacances.

Attends-moi !

Naturellement, l'intello va tomber ses lunettes et apprendre à vivre plus libre, mais sans renoncer à ses priorités : la famille, la beauté d'une vie calme, la médecine. D'ailleurs, elle remet ses lunettes quand elle seule (ce qui est beaucoup plus réaliste que la transformation de l'héroïne de Kal Ho Na Ho (New-York Masala), elle aussi nommée Naina, qui lorsqu'elle se décoince un peu voit sa myopie disparaître soudainement). Quand elle se débride un peu, ce n'est pas avec de l'alcool, mais avec le plus traditionnel et acceptable bhang (cannabis comestible)*. Et, surprise, quand Kabir part, huit ans, elle ne l'attend pas et le dit.
 
 avant
 après, pour la première fois filmée comme une star de cinéma, avec brushing et décolleté, et allure à tomber.

Kabir est le contraire de Naina. Mais comme ils le disent tous les deux, aucun des deux n'a tort, ils sont juste très différents. Pas de jugement moral ici, c'est rafraichissant.

 Kabir est différent

Passionné de voyages, il ne tient pas en place, ne semble pas spécialement attaché à l'Inde (il ne pourra même pas revenir pour l'enterrement de son père - et c'est là que l'on voit qu'il est l'opposé de Naina : elle voit naître des enfants, lui n'est pas là à la mort de son père pour accomplir les rites funéraires). Mais à leurs retrouvailles leurs sentiments n'ont pas faibli, et il va devoir choisir entre sa vie de globe-trotter et Naina. Un simple "I love you" ne suffira pas. Il va aussi lui falloir se réconcilier post-mortem avec son père.

Une pause dans la description des personnages pour revenir sur la vision des blancs dans ce film. Outre Aditi, on croise des touristes allemands, dont tout ce que l'on sait est qu'ils organisent une fête, une blonde peu farouche à Paris (gros cliché, elle) et les journalistes occidentaux pour qui Kabir travaille au début comme stagiaire. Ceux-ci viennent filmer pour un reportage à sensation la misère des maisons-closes indiennes, à l'inverse de la tradition de la "courtisane", éduquée et admirée. Juste après, la voici d'ailleurs qui paraît, en la personne de Madhuri Dixit qui récite de la poésie et se lance dans une danse (en reprenant le nom du personnage qui l'a rendue célèbre dans Tezaab). Regard européen contre regard indien.


De manière amusante, quand Kabir devient vraiment photographe, c'est à son tour de photographier la contre-culture occidentale, entre petits deals et graffitis. Un donné pour un rendu.

Retour aux personnages, et à Avi, le plus énigmatique. On sait peu de choses de lui dans la première partie. Dans la deuxième partie, on le voit très alcoolisé et visiblement de mauvaise humeur au mariage d'Aditi, dont on suppose donc qu'il doit être aussi amoureux. Et l'on s'attend avoir les deux tourtereaux se réunir à la fin du film. Mais non. Avi est jaloux, et furieux, mais contre Kabir, qui les a abandonnés pour vivre son rêve, sans donner de nouvelles, alors que lui, Avi, voit ses projets professionnels échouer. Cette amitié profonde qui se développe dans la deuxième moitié est un des aspects les plus touchants du film.



Un mot sur mon avis quand même ! J'ai beaucoup aimé ce film plus complexe qu'il n'y paraît. Le scénario est plein de surprises. Les acteurs sont très bons (y compris Ranbir, que je n'aime pourtant pas beaucoup - et il sait danser !).



La belle photographie met bien en valeur les paysages de montagnes puis la ville d'Udaipur. La musique, sans être exceptionnelle, est entrainante. Et on a même deux guest stars : le regretté Farooq Sheikh, mort l'année du film, et grosse surprise, la star télugu Rana.




Et juste pour le plaisir, deux des plus beaux sourires de Bollywood :















*note de fondue de langues (lecture très facultative). La chanson de Holi où Naina s'éclate la désigne par le mot "balam", un des nombreux termes affectueux pour désigner la bien-aimée. C'est amusant car ce mot, autrefois courant dans les chansons d'amour, en avait presque disparu (cf Talking Songs: Javed Akhtar in Conversation With Nasreen Munni Kabir). Une façon de souligner le caractère plus traditionnel de Naina ? Ou peut-être est-ce que j'extrapole complétement.


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